• Charles Nodier - 1780-1844

    Un maître de la fantasmagorie

     

    Erudit, poète, entomologiste, herboriste, publiciste, grammairien, bibliophile, romancier, Charles Nodier est un dé­couvreur infatigable. Une curiosité insa­tiable le pousse à explorer sans relâche les domaines les plus insolites et les plus étranges. Né à Besançon en 1780, il est élevé dans les principes révolutionnai­res. Ce fils d’avocat montre une éton­nante précocité. A 11 ans, il prononce plusieurs discours devant les amis de la Constitution de sa ville natale. Elève du naturaliste Girod de Chantrans, il publie à 18 ans une Dissertation sur l’usage des antennes des insectes. En 1802, il gagne Paris où ses romans et poèmes lui valent une certaine noto­riété. Le Peintre de Salzbourg, journal des émotions d’un cœur souffrant préfi­gure le René de Chateaubriand. Nodier est emprisonné quelques mois pour avoir publié La Napoléone, une ode satirique dirigée contre le Premier con­sul. Puis il enseigne à Dole où il épouse Désirée Charve. Il publie Tristes ou Mé­lange tiré des tablettes d’un suicidé et son Dictionnaire raisonné des onomato­pées. Il attire l’attention d’Herbert Croft, un philologue anglais excentrique qui l’engage pour quelque temps comme secrétaire. En veine d’exotisme, Nodier part pour l'Illyrie, y devient directeur du journal Le Télégraphe, est révoqué, recueille des «poèmes morlaques» et des histoires populaires de vampires. Reve­nu à Paris en 1815, il soutient les roya­listes dans le Journal des débats et La Quotidienne; il publie son Histoire des sociétés secrètes dans l’armée. La production littéraire de Nodier devient très abondante; romans noirs et fantastiques se succèdent: Jean Sbogar, Le Vampire, S marra; cette dernière œuvre est vivement critiquée par les classiques; un monde onirique s’en- trouvre dans Trilby. Nodier accueille les jeunes romantiques et collabore à La Muse française. Lorsqu’il est nom­mé bibliothécaire de l’Arsenal (1824), le cénacle se réunit dans son salon. Il se ré­vèle un hôte délicieux, à la conversation éblouissante; les jeunes écrivains voient en lui un aîné plein de sagesse et de bien­veillance; peu à peu, il devient célèbre. Cependant, après 1830, les romantiques se détournent de Nodier qui trouve alors son accomplissement dans l’art du con­te. Sa malice et son érudition se conju­guent heureusement dans son explora­tion hardie de l’univers des songes, des chimères et des superstitions. Il dévelop­pe une théorie sur les rapports du rêve et de la création poétique. Les sciences occultes le fascinent; il y voit le moyen de communiquer avec un autre univers; il considère la folie comme une sagesse supérieure. Véritable précurseur, Nodier ouvre de nouveaux chemins qu’emprun­teront Nerval, Lautréamont et les sur­réalistes.


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  • Le théâtre romantique - XIXe siècle

    Une révolution sans lendemain

    «Il est bon que le public voie jusqu’à quel point d’égarement peut aller l’esprit humain affranchi de toute règle.» Ainsi s’achevait le rapport du comité de cen­sure autorisant la représentation d’Her- nani. A l’époque, cette nouvelle concep­tion théâtrale était effectivement une vé­ritable révolution, dont le «1789» fut la bataille d'Hernani, le 25 février 1830. En 1827 déjà, Victor Hugo, dans la pré­face de Cromwell (après Stendhal, dans son étude Racine et Shakespeare), fixait l’esprit qui devait animer le théâtre romantique. Il faut «mettre toute la vie dans le drame», peindre la réalité des hommes et des choses dans sa complexi­té. Il faut, contrairement à la tragédie classique, se libérer des unités de temps et de lieu. L’action doit être située dans l’époque moderne (XVIe ou XVIIe siè­cle) et non dans l’Antiquité, dont se sou­cie peu le spectateur. Le décor, «person­nage muet», selon Hugo, cesse d’être figé. Il change, et les auteurs le décrivent avec minutie. La couleur locale est soi­gneusement respectée «dans le cœur même de l’œuvre». L’unité de ton tragi­que, chère à la tragédie classique, est bannie. Comme dans la vie, il doit y avoir coexistence des genres, grotesque et sublime, beau et laid, parfois dans le même personnage «car, de même que les plus vulgaires ont maintes fois leurs accès de sublime, les plus élevés paient fréquemment tribut au trivial et au ridi­cule». Pour l’expression, le vers devien­dra «libre, franc, loyal»; il déplacera la césure; bref, il rompra la monotonie de l’alexandrin et pourra être, selon Victor Hugo, «aussi beau que de la prose». Le succès que connut ce nouveau genre théâtral répondait certainement à une aspiration d’une partie du public. Mais il dut beaucoup à des acteurs remarqua­bles comme Frédérick Lemaître, Marie Dorval, Bocage... Toutes les pièces n’eurent pas le même retentissement qu’Hernani, mais elles marquèrent leur époque. Ce furent La Maréchale d’Ancre et Chatterton, de Vigny, Antony, Charles VII, Richard Darlington, La Tour de Nesle, de Dumas, Marion De Lorme, Le Roi s’amuse, Lucrèce Borgia, Marie Tudor, Angelo, Ruy Blas, de Hugo, etc., tandis que Musset écrivait, en 1834, Lorenzaccio, dont le héros est le type du personnage roman­tique, avec sa dualité de caractère et sa volonté de l’acte gratuit. Mais l’existence de ce genre théâtral fut brève. En 1843, les Burgraves de Victor Hugo subissaient un échec significatif. Les tragédies classiques retrouvaient la faveur avec la grande actrice Rachel. C’était la fin de l’aventure romantique, victime de ses ambitions, de ses excès, du côté factice de la psychologie qu’elle exprimait et, notamment, de son abus des procédés du mélodrame. Mais son apport — la libération du théâtre — res­tait acquis.


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    L’école symboliste - 1880

    Le sens du mystère

    Le courant symboliste naît dans la seconde moitié du XIXe siècle en réac­tion contre la science positiviste qui pré­tend imposer sa vision du monde et qui inspire le naturalisme littéraire. Les précurseurs du symbolisme affirment qu’au-delà des apparences existe un monde spirituel dont les signes ne se laissent pas appréhender par le sens commun ou l’esprit scientifique. Gérard de Nerval voit dans le rêve une «autre vie» ouverte sur un monde surréel et dé­clare: «Je ne sais comment expliquer que, dans mes idées, les événements ter­restres pouvaient coïncider avec ceux du monde surnaturel. Cela est plus facile à sentir qu’à évoquer clairement.» Et Bau­delaire pose les fondements du symbo­lisme par quelques vers des Fleurs du mal:

     

    «La nature est un temple où de vivants piliers

    Laissent parfois sortir de confuses paroles:

    L’homme y passe à travers des forêts de symboles

    Qui l’observent avec des regards familiers.»

    Le symbolisme demeure longtemps un large courant d’idéalisme poétique dépourvu de théorie précise. Lautréamont publie, en 1869, les Chants de Maldoror dont les images étincelantes, jaillies du sub­conscient, fascineront les surréalistes. Verlaine évoque des paysages intérieurs dans une poésie faite d’harmonies subti­les. Il fait connaître au public Rimbaud, ce poète voyant qui explore les gouffres de l’inconnu au moyen de l’hallucination et de la magie d’un «verbe poétique accessible à tous les sens». Mallarmé crée un espace poétique dont les symbo­les hermétiques, animés d’une vie propre, reflètent un ailleurs situé au-delà de la réalité. Les années 1880 voient l’avènement du symbolisme. Mais celui-ci s’émiette aus­sitôt en chapelles rivales. Huysmans cé­lèbre dans A rebours les grands noms du panthéon symboliste et lance le type du héros décadent, dont se réclament Laurent Tailhade, Georges Rodenbach, Ephraïm Mikhaël, Jules Laforgue. Le décadentisme est vite contesté par l’éco­le symboliste qui se reconnaît dans un manifeste publié dans Le Figaro par Jean Moréas, autour duquel gravitent Gustave Kahn, René Ghil, Stuart Mer­rill, Vielé-Griffin, Albert Samain. L’éco­le symboliste, qui ne parvient pas à don­ner des œuvres magistrales, est bientôt reniée par certains de ses fondateurs. Toutefois, l’héritage symboliste féconde­ra avec bonheur l’œuvre de poètes du XXe siècle, tels Valéry, Apollinaire et les surréalistes. On peut rapprocher l’école symboliste de celle du Parnasse si l’on songe au sentiment de solitude qui étreint les poè­tes. Mais le symbolisme a quelque chose de plus humble; la perfection formelle n’y existe que pour mieux servir l’expression d’une âme dolente à la recherche de son mystère intérieur.

     


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    Jacques Amyot - 1513-1593

    Le traducteur de Plutarque

     

    Né en 1513 à Melun, d’une famille très pauvre, Jacques Amyot étudie au collè­ge de Navarre, à Paris, comme domes­tique d’élèves plus riches. Devenu maître ès arts à 19 ans, il étudie le droit à l’université de Bourges, reçoit les ordres, devient précepteur et obtient, grâce à la protection de Marguerite de Navarre, sœur de François Ier, une chai­re de grec et de latin à l’université de Bourges. Il commence ses premières traductions par Théagène et Chariclée (1547), qu’il dédie à François Ier dont il reçoit l’abbaye de Bellozane, près de Gournay (Normandie). Au retour d’une mission auprès des pères du concile de Trente, il devient, sur la recommandation du car­dinal de Tournon, précepteur des enfants de France: Charles (plus tard, Charles IX) et Henri (plus tard, Henri III); il s’acquitte parfaitement de cette tâche qui lui vaut l’affection de ses élèves. A son avènement, Charles IX, malgré sa mère Catherine de Médicis, nomme son ancien précepteur grand aumônier de France (1560), puis évêque d’Auxer- re (1570). Henri III le fait commandeur de l’ordre du Saint-Esprit (1578). Soup­çonné d’avoir approuvé, sinon conseillé, le meurtre du duc de Guise et de son frère le cardinal, Amyot doit quitter Auxerre où son palais épiscopal est pillé par les ligueurs. Il rentre enfin dans son évêché et y achève ses jours en 1593. Son œuvre essentielle est moins d’action pastorale que de méditation et de tra­duction. Fervent humaniste, il met à la disposition de la jeunesse érudite fran­çaise les trésors de l’histoire et de la morale antiques. Outre Théagène et Chariclée d’Héliodore et sept livres de Diodore de Sicile (1554), il traduit les Vies des hommes illustres de Plutarque (1559) et ses Œuvres morales. La plu­part des Vies sont couplées pour per­mettre de comparer les grands hommes grecs et les grands hommes romains. Amyot se plaît à rendre, dans un fran­çais parfaitement pur et dépouillé de tout provincialisme, les anecdotes dont le lecteur, et notamment la jeunesse des écoles, doit tirer profit. L’œuvre d’Amyot a ainsi une double valeur: esthétique par la beauté formelle qu’admirera Racine, morale par l’utili­sation des faits historiques comme «mo­dèles» à proposer à la jeunesse. Ces modèles peuvent en outre aider le cheva­lier ou le simple «honnête homme» à méditer les rapports existant entre l’his­toire et la morale.


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    Malherbe - 1555-1628

    «Enfin, Malherbe vint...»

     

    Né à Caen «environ l’an 1555», d’un père conseiller du roi, François de Mal­herbe, entiché de noblesse, se flatte d’être d’épée. Il trouve un protecteur en la personne d’Henri d’Angoulême qu’il suit à Aix-en-Provence en qualité de secrétaire. Il épouse la fille d’un prési­dent au parlement de Provence. La mort de son protecteur le ramène à Paris où il se fait connaître par un poè­me imité du poète italien Tansillo, Les Larmes de saint Pierre. Henri III le ré­compense d’une prime de 500 écus. Malherbe est bien parti pour sa future carrière de poète officiel. De retour en Provence, il se lie avec Guillaume du Vair, orateur fameux, qui lui fait connaître Claude Fabri de Peiresc, philosophe et homme de lettres. Présenté à Henri IV en 1605, Malherbe écrit pour lui La Prière pour le Roi se rendant en Limousin, car le monarque va tenir les Grands Jours dans cette pro­vince. Le poète s’installe dans la capitale. A 50 ans, il apporte à la littérature une raison solide, un goût lentement formé, des principes fermement arrêtés, qui con­trastent avec les outrances suscitées par les récentes guerres civiles. Il se pose en maître dogmatique. Poète officiel, il est aussi, comme Ronsard, poète national, mais ce dernier puise davantage aux grandes sources du lyrisme. Malherbe n’a donné dans ce genre que dans sa fameuse Consolation à Monsieur Dupé- rier sur la mort de sa fille. «Et rose elle a vécu ce que vivent les roses, L’espace d’un matin.» Le grand mérite de Malherbe est de doter la poésie française en pureté d’expression et en fermeté d’accent; lé­gislateur sévère, il condamne l’esprit de la Pléiade, même s’il en est tributaire; il veut réformer la prosodie en proscrivant l’hiatus et l’enjambement, en réglemen­tant rigoureusement la césure dans le vers et les repos dans la strophe, en recherchant des rimes riches, rares et difficiles; il veut réformer la langue et la grammaire, ne reconnaît d’autre autori­té que celle de l’usage et mérite l’ire de Balzac qui l’appelle «tyran des mots et des syllabes». Malgré la justesse de son goût, Malher­be n’est pas lui-même un grand poète; son inspiration reste froide, comme celle de son futur homologue et admirateur, Boileau, mais son rôle dans l’histoire de la littérature française est capital: il a ouvert la voie au classicisme.


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