• L’«Encyclopédie» - 1750-1772

    La somme des connaissances humaines

    L’ouvrage de l’Anglais Chambers, Cyclopaedia, inspire à Diderot l’idée d'un «Dictionnaire des sciences, des arts et des métiers». Celui-ci reçoit le visa de la censure le 21 janvier 1746, sous le nom à'Encyclopédie. Diderot associe à son projet un savant déjà illustre, d’Alembert, qui apporte à la partie scientifique de l’ouvrage l’autorité de son savoir et son renom d’académicien. En 1750, les deux auteurs rédigent le prospectus de présentation. En juillet 1751 paraît le tome I, précédé du Dis­cours préliminaire de d’Alembert, qui précise la tendance philosophique, rationnelle et laïque de l’œuvre. Par deux fois l’Encyclopédieest interdite par le parlement; elle est également condam­née par un bref du pape, et d’Alembert cesse sa collaboration. Malgré cet aban­don et celui du libraire Le Breton, mal­gré les menaces et la prison, Diderot poursuit son entreprise; il est aidé par le dévouement du chevalier de Jaucourt et par ses protecteurs Malesherbes, d’Argenson et Mme de Pompadour, qui obtiennent pour lui l’autorisation tacite du gouvernement. En 1765, VEncyclo- pédie comprend 17 volumes; en 1772, les 7 derniers, avec 11 volumes de plan­ches, complètent cette magnifique série d’in-folio, une des plus belles réussites de l’édition française. Autour de Diderot qui assure la direc­tion et écrit lui-même un grand nom­bre d’articles, les collaborateurs sont presque tous des spécialistes devenus écrivains: les philosophes Condillac, Helvétius, d’Holbach, le savant d’Alem­bert, le naturaliste Daubenton, les éco­nomistes Quesnay, Morellet, Turgot. L’homme de lettres Marmontel assure la critique littéraire. Cependant, les grands écrivains du siècle, Montesquieu, Rous­seau, Voltaire, n’ont participé qu’épiso- diquement à l’entreprise. La première édition de l’Encyclopédie se vend à plus de 4000 exemplaires, chiffre peu cou­rant à l’époque; toutes les grandes bibliothèques, publiques et privées, pos­sèdent cet ouvrage et les contrefaçons sont nombreuses. VEncyclopédie n’est pas seulement un panorama complet des connaissances humaines, c’est aussi un lien entre les esprits novateurs. En cette veille de la Révolution, c’est la syn­thèse d'un nouvel humanisme dressé contre l’ancien ordre moral et politique. Pour la première fois, les sciences, les techniques, les métiers sont considérés comme des arts au même titre que la musique ou la littérature. Les auteurs de VEncyclopédie se déclarent «philoso­phes» et assignent à leur œuvre un rôle de phare.


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  • Mounet-Sully - 1841-1916

    Le «Delacroix du théâtre»

     

    On a beaucoup loué l’acteur Mounet- Sully. Peladan l’appelle le «Delacroix du théâtre», ajoutant que la langue fran­çaise n’a pareillement resplendi sur d’autres lèvres. Barbey d’Aurevilly le compare à Talma; en effet, depuis Talma, jamais un tragédien n’a connu un tel succès ni déchaîné un tel enthou­siasme. La vocation de Jean Sully a été tardive. Né à Bergerac en 1841, il se destine tout d’abord à l’austère carrière de pasteur protestant et poursuit de longues études théologiques. Puis, à 25 ans, il se sent attiré par l’art dramatique. Il entre au Conservatoire où il est l’élève de Bres- sant; son talent n’est pas reconnu d’emblée; sa manière surprend. Au con­cours de juillet 1868, le jury ne lui accorde qu’un second prix de comédie pour le rôle de Clitandre et un accessit de tragédie pour Oreste. Sully entre ensuite à l’Odéon où on le remarque peu. Le découragement l’envahit; il s’apprête à quitter les planches lorsqu’on l’engage à la Comédie-Française en 1872. Il fait des débuts éclatants dans Andromaque et le Cid. En 1873, il triomphe en inter­prétant Didier de Marion De Lorme. L’année suivante, il devient sociétaire de la Comédie-Française: c’est la gloire. Mounet-Sully éclaire la tragédie d’une lumière nouvelle; il «osa le cri du fauve dans l’économie si rigoureuse de Racine et ce cri fut juste», note Peladan. L’artiste jouit d’extraordinaires moyens physiques et vocaux; servi par une voix puissante, il a le sens du geste; acteur inspiré, il donne à ses personnages une dimension stupéfiante. Le spectateur est ébloui: «Presque toujours, Dieu le visi­tait à un moment du drame... tout l’appareil théâtral s’évanouissait; il sem­blait que le plafond de la salle s’ouvrait pour laisser descendre des forces mysté­rieuses et écrasantes sur cet homme revenu du fond des âges», écrit Antoine. Entièrement dévoué à son art, Mounet- Sully considère son métier comme un sacerdoce et se donne totalement 'à ses rôles. On attend chacune de ses appari­tions avec impatience. Il interprète bril­lamment les héros de Racine, de Cor­neille, de Shakespeare, des drames romantiques, notamment Oreste, Ham- let et, surtout, Œdipe roi. En 1916, à la mort de l’artiste, Peladan écrit: «Oui, c’était un lion, et non pas au figu­ré; il posait le pied, il rugissait comme le fauve; il écrasait l’interprétation malgré le talent des autres artistes parce qu’il jouait à la grecque et que, seul, il en avait la force et le génie...»


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    Jean de La Bruyère - 1645-1696

    Le maître du portrait

    Fils d’un fonctionnaire parisien, élevé chez les oratoriens, étudiant en droit à Orléans, reçu avocat en 1665, La Bruyère est anobli en 1673 par l’achat d’une charge de trésorier des finances de Caen. S’ennuyant en province, il s’enga­ge comme précepteur chez le marquis de Soyecourt. En 1684, sur la recom­mandation de Bossuet, il est chargé d’enseigner l’histoire et la philosophie au jeune duc de Bourbon, petit-fils du Grand Condé. Son élève est peu brillant mais suffisamment reconnaissant pour le conserver à son service comme biblio­thécaire, avec le titre de «gentilhomme de Monsieur le duc» et 1000 écus de traitement annuel. Cette fonction peu absorbante permet à La Bruyère de tra­vailler au livre pour lequel il accumule, depuis des années, une documentation qu’il ne cessera d’enrichir au contact des cours de Chantilly et de Versailles. L’ouvrage de La Bruyère, Caractères de Théophraste traduits du grec, avec les caractères et les mœurs de ce siècle, paraît en 1688. Sous le couvert du phi­losophe grec, La Bruyère glisse 300 por­traits, maximes et pensées, pleins d’iro­nie critique, et qui, d’emblée, obtiennent un succès considérable. Au cours de neuf éditions successives (1688 à 1696), les éditeurs ont repoussé Théophraste en fin de volume et La Bruyère a réduit les maximes au profit des portraits: le livre en compte 1118; le public s’ingénie à les identifier à des personnages contempo­rains. Mais le dessein de l’auteur est plus vaste; en artiste, il crée des types classi­ques, comme l’a fait Molière: l’étourdi, l’avare, l’hypocrite, le prétentieux... Etu­diant les vices et les ridicules des indivi­dus, il peint la société dont ils sont le reflet; il stigmatise les grands, orgueil­leux et inutiles, les juges, vénaux, les financiers, exploiteurs d’un peuple dont il plaint la misère, les libertins, libres penseurs. Son éthique est celle de l’«honnête homme». Dans la fameuse querelle des Anciens et des Modernes, il prend le parti des Anciens et le déclare dans son discours de réception à l’Académie (1693). Il soutient l’opinion de Bossuet avec ses Dialogues sur le quié­tisme (inachevés, 1699). C’est donc l’homme d’un seul ouvrage, mais d’un ouvrage immortel. Dans la grande lignée des moralistes français, Jean de La Bruyère est le premier qui ait analysé le comportement humain avec la lucidité d’un naturaliste; il l’a fait dans un style admirable de concision, usant de la phrase courte, vive et pleine de malice, que l’on retrouvera au siècle suivant chez un Voltaire. 


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    Le Pont-Neuf - 1577

    Le plus vieux pont de Paris

    Le Pont-Neuf, lancé sur la Seine dans le dernier quart du XVIe siècle, traverse les deux bras du fleuve à la pointe ouest de l’île de la Cité. Il est rendu nécessaire par l’extension progressive de la ville à partir de trois quartiers: la Cité, le Quartier latin, l’agglomération commer­çante de la rive droite; ceux-ci se trou­vent à la croisée de grandes routes. Demandée dès 1566, la construction du pont est décidée par la municipalité en 1577, stoppée pendant les troubles de la Ligue, achevée sous le règne réparateur d’Henri IV qui le franchit à cheval en décembre 1605. Les plans définitifs sont établis par Bap­tiste Du Cerceau et Pierre des Illes; les travaux commencent, pour le petit bras en 1578, pour le grand en 1581; les maî­tres d’œuvre Jean Petit, François Petit et Christophe Mercier assument le quart de l’ouvrage; Guillaume Marchant, Pierre des Illes et Christophe Mercier, les trois autres quarts. Restés seuls, Guillaume Marchant et François Petit terminent le tout à partir de 1584. Les deux moitiés de cette nouvelle voie ne forment pas un alignement rigoureux; les douze arches, en plein cintre, sont décorées d’amusants mascarons. Le Pont-Neuf a encore trois particulari­tés: il est dépourvu de maisons, ce qui est une nouveauté pour l’époque; il est muni de trottoirs, où se presse la foule; il est bordé de boutiques, édifiées dans les saillies en demi-lune des piles, et qui accrochent au passage bateleurs, bala­dins, invalides, mendiants, capucins et promeneurs oisifs et curieux. En outre, il s’intégre bien dans l’ensemble urbain. A l’aide de terrains soustraits à la Seine et au jardin du roi, le président Harlay aménage, en l’honneur du futur Louis XIII, la pointe de la Cité, qu’il baptise place Dauphine. Henri IV décide de créer des dégagements qui deviendront les quais des Orfèvres et de l’Horloge. La pompe de la Samaritaine, qui, pour la première fois, aspire les eaux de la Seine, retient l’attention des badauds. Voie de passage entre le nord et le sud de Paris, le Pont-Neuf en devient rapide­ment le centre, sans pour autant remé­dier aux fameux «embarras». C’est aussi un centre d’attractions: Turlupin, Gros-Guillaume, Gaultier-Garguille, les garçons boulangers s’y retrouvent pour leurs farces enfarinées; Callot ne dé­daigne pas d’y graver ses tableaux. Le Pont-Neuf est le reflet des vicissitudes de l’histoire parisienne; Henri IV, «qui aimait la ville de Paris», y retrouve son «bon peuple» du haut de sa statue. Celle-ci, installée le 23 août 1614, a été exécutée à Florence. Envoyée à la fonte sous la Révolution, hâtivement reconsti­tuée en plâtre, elle reçoit de nouveau, le 4 mai 1814, un solennel hommage. Le pont a subi plusieurs restaurations, mais le corps même de l’ouvrage, résis­tant à toutes les crues, est toujours resté le même; d’où l’expression: «Se porter comme le Pont-Neuf».


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  • Fénelon - 1651-1715

    Le cygne de Cambrai

     

    De famille peu fortunée mais de haute noblesse, François de Salignac de La Mothe-Fénelon sort, en 1674, du sémi­naire de Cahors. Prêtre de Saint-Sulpice à Paris, il est nommé supérieur des Nou­velles Catholiques, pour l’enseignement des femmes protestantes converties. Au lendemain de la révocation de l’édit de Nantes, en 1685, ses dons de douceur persuasive sont à nouveau utilisés. Il est envoyé en mission d’apaisement en Aunis et en Saintonge. Le jeune abbé de Fénelon, disciple et protégé de Bossuet, son aîné de 24 ans, a écrit, en 1684, un Traité de l’éduca­tion des filles. Mme de Maintenon s’en inspire pour le règlement de l’école de Saint-Cyr qu’elle fonde en 1687. Deux ans plus tard, Fénelon est nommé pré­cepteur du duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XIV. Pour son élève, il compo­se de nombreux ouvrages: Contes, Fables, Dialogues des morts, Les Aven­tures de Télémaque, Examen de cons­cience d’un roi et Les Tables de Chaulnes, véritable plan de gouvernement, courageusement réformateur. Elu à l’Académie en 1693 et nommé archevêque de Cambrai en 1695, Féne­lon va connaître des années difficiles. Un différend le sépare de Bossuet au sujet du quiétisme. Par l’intermédiaire de Mme Guyon qu’il a rencontrée vers 1688, Fénelon a été séduit par la doctri­ne du théologien espagnol Michel de Molinos. Cette mystique de l’abandon total de l’âme en Dieu préconise la pas­sivité, la démission de la volonté person­nelle en échange d’une sérénité parfaite. Fénelon entreprend de s’en faire le pro­pagandiste par ses écrits et par des sé­ries de conférences. Alerté, Bossuet accuse son ancien disciple d’hérésie; il lui demande de signer un formulaire pré­cisant, en 24 articles, le dogme du «pur amour». En décembre 1695, Mme Guyon est arrêtée; en 1696, Fénelon se défend en publiant ses Maximes des saints sur la vie intérieure. La lutte entre les deux prélats se poursuit pen­dant deux ans. Bossuet attaque par sa Relation sur le quiétisme, Fénelon se justifie par une Réponse à la relation. Finalement, c’est Bossuet qui gagne. Le mars 1699, le pape condamne le quiétisme comme hérésie. En catholique respectueux, Mgr de Cambrai se sou­met, gardant en son cœur le rêve d’une religion moins formaliste. Il se retire dans son évêché. Il travaille à son Traité de l’existence de Dieu de 1705 à 1712. En 1714, il écrit encore une Lettre à l’Académie, prenant position dans la querelle des Anciens et des Modernes. Jamais il ne reviendra à Versailles. En 1712,1a mort de son ancien élève, le duc de Bourgogne, lui a enlevé tout espoir de rentrer en grâce.


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