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    L’affaire Calas - 1761-1765

    Les iniquités de la «justice»

     

    Le 13 octobre 1761, Jean Calas, calvi­niste, marchand d’indienne, établi à Toulouse depuis quarante ans, trouve son fils aîné Marc-Antoine, pendu dans le magasin. Pour que le corps du jeune homme ne soit pas soumis au traitement déshonorant réservé à ceux qui ont mis fin à leurs jours, Jean Calas maquille le suicide en crime. Mais la rumeur popu­laire ne tarde pas à accuser le père d’avoir étranglé son fils pour l’empêcher de se convertir au catholicisme. L’affai­re survient à un moment où Toulouse s’apprête à célébrer l’anniversaire du massacre des protestants en 1562. L’enquête est menée avec malveillance par le capitoul de Toulouse. Quatre- vingt-sept témoins, dont la vieille ser­vante Jeannette, prétendent que Marc- Antoine avait l’intention de se convertir. Le corps de Marc-Antoine est enterré suivant le rite catholique et une proces­sion réunit plus de 20000 fidèles. L’affaire Sirven contribue à attiser les passions. Une jeune fille élevée chez les Dames noires de Castres ne s’est-elle pas jetée dans un puits pour ne pas entrer au couvent? Dans ce contexte émotionnel s’ouvre le procès en appel devant le parlement de Toulouse. Le conseiller rapporteur, de Cassan- Clairac, s’est retiré pendant plusieurs jours dans un couvent pour mieux étu­dier l’affaire. La thèse du suicide semble insoutenable et le premier mensonge de Jean Calas lui nuit. Le 9 mars 1762, les magistrats déclarent l’accusé coupable. Jean Calas est condamné à mort et subit le supplice de la roue en clamant son innocence. Devant les protestations de sa veuve et de son jeune fils, un revire­ment d’opinion se manifeste. Marc- Antoine avait bien mis fin à ses jours, à la suite d’une crise de désespoir provo­quée par l’impossibilité de terminer une licence en droit, réservée aux catholi­ques.  Le comte de Maurepas, le fils du maré­chal de Villars, Vallemongue, avec son pamphlet, L’Asiatique toléré, réclament la réhabilitation de Jean Calas. Mais c’est l’intervention de Voltaire qui est déterminante. Il en appelle au roi, porte le débat devant la cour et l’opinion dans son Traité sur la tolérance (1763). Il ne cache d’ailleurs pas à d’Alembert qu’il bataille pour le plaisir de saper le parle­ment et par haine pour «l’infâme», c’est- à-dire la religion. Un an plus tard, un tri­bunal composé du chancelier d’Agues- seau, du cardinal de Bernis et de l’inten­dant de La Michodière révise le procès. Le Conseil du roi casse le jugement et réhabilite, en 1765, Jean Calas, dont la famille reçoit une indemnité de 30000 livres. Par son retentissement, l’affaire Calas pose le problème de la situation ambiguë des protestants et jette le dis­crédit sur la justice des parlements.


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    L’émigration - 1789-1814

    Une réaction obstinée

    Les premiers à quitter la France, en juil­let 1789, sont le comte d’Artois et les trois Condé, dont les têtes ont été mena­cées au soir de la prise de la Bastille. D’autres hauts personnages suivent cet exemple lorsqu’ils apprennent les pre­miers massacres survenus à Paris ou en province. Tous sont convaincus que leur séjour à l’étranger sera de courte durée. Après être passés par Turin, les princes vont retrouver les autres groupes sur les bords du Rhin où, très vite, ils commen­cent à s’agiter dangereusement. Ils croient sans doute travailler pour la monarchie, mais leurs rodomontades et leur diplomatie brouillonne ne font que nuire à la cause royale. En juin 1791, le comte de Provence arrive à son tour à Coblence. Les émigrés constituent alors des régiments qui suivent, après la dé­claration de guerre, les envahisseurs austro-prussiens, mais ils doivent re­brousser chemin après Valmy.

    Les émigrés, pour qui la patrie est incar­née par le roi qu’ils doivent donc déli­vrer, sont devenus, aux yeux des révolu­tionnaires, des traîtres. Ils sont désor­mais considérés en France comme des ennemis publics. Diverses lois sont pro­mulguées, celle du 28 mars 1793 codi­fiant l’ensemble: les émigrés pris sur le territoire seront jugés sans appel par un tribunal et risquent la mort, leurs biens seront confisqués et vendus comme biens nationaux, leurs parents demeurés en France seront traités en suspects. Ainsi pourchassés et proscrits, les mal­heureux ne songent évidemment pas à rentrer. Outre les aristocrates, particu­lièrement visés, de nombreux bourgeois et des prêtres réfractaires ont passé la frontière, s’éparpillant dans tous les pays voisins, jusqu’en Russie et aux Etats-Unis.

    Parfois très mal accueillis par les popu­lations (eux-mêmes montrent souvent de la morgue), ils mènent une vie rude: hommes et femmes s’ingénient à trouver divers métiers pour gagner leur pain, le pain amer de l’exil. Une seule extraordi­naire réussite au milieu de beaucoup de misère, celle du duc de Richelieu, deve­nu gouverneur d’Odessa. Quant aux militaires enrôlés sous la bannière des princes, ils se battent avec courage, mais sont souvent traités avec méfiance par les chefs étrangers.

     

    Dès le Directoire, les émigrés cherchent à regagner la France. Ils rentrent en plus grand nombre sous le Consulat, après la loi d’amnistie accordée par Bonaparte, et se rallient loyalement. D’autres demeurent irréductibles et par­ticipent même aux divers complots montés contre le régime consulaire ou impérial. Revenus en 1814 avec Louis XVIII, les émigrés montreront trop sou­vent qu’«ils n’ont rien appris ni rien oublié».

     


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  • La conférence de Brazzaville - 1944

    Resserrer les rangs

    Le 30 janvier 1944, le général de Gaulle ouvre la conférence de Brazzaville, organisée et présidée par René Pleven qui a contribué, en 1940, au ralliement de l’A.-É.F. à la France libre. Les dé­bats durent jusqu’au 8 février.

    Quelle a été l’évolution de l’empire fran­çais d’outre-mer? En 1930, pour J. Tra- mond, «le problème colonial semble se conclure en apothéose». L’année sui­vante, lorsque s’ouvre l’Exposition colo­niale, la guerre du Rif et la révolte des Druzes sont oubliées. Pourtant, une dizaine d’années plus tard, s’amorce la désintégration de l’empire: en 1941- 1943, la France reconnaît l’indépendan­ce du Liban. Malgré les bonnes réso­lutions de Brazzaville, le mouvement émancipateur se poursuit. Malgré la dé­faite du Japon, la France ne pourra re­prendre en main l’Indochine. De 1956 à 1962, elle perdra presque toute l’Afri­que. A la veille de la Seconde Guerre mondiale, l’ensemble colonial français représentait près de vingt-trois fois la superficie de la métropole et plus d’une fois et demie sa population. L’A.-O.F. et l’A.-É.F. regroupaient à elles seules douze colonies, auxquelles s’ajoutaient Madagascar et cinq autres territoires.

    Ce n’est pas par hasard que de Gaulle a choisi Brazzaville pour y tenir sa confé­rence: à la suite de la défaite de 1940, le Tchad, l’A.-É.F. et l’Océanie se sont rangés aux côtés de la France libre. Le

    28   août 1940, Sicé a soulevé le Moyen- Congo et remis les pouvoirs au colonel de Larminat. De Gaulle a débarqué à Douala en octobre, avant de confier le gouvernement de l’A.-É.F. à Félix

    Eboué. Dès décembre 1940, Radio- Brazzaville est devenue une des princi­pales antennes gaullistes. En 1943, à la suite de l’occupation totale de la métro­pole par les Allemands, la dissidence de l’empire tout entier est consommée. La mentalité de ses populations avait d’ail­leurs évolué sous l’influence de la pres­sion démographique et de divers autres facteurs, comme l’abandon des cultures vivrières et l’urbanisation relative, favo­risant la formation d’élites indigènes. En recourant au travail forcé, Paris avait en outre excédé ses administrés d’outre­mer. Enfin, comme l’a dit Lyautey, ce «n’est pas impunément» qu’on a répan­du «le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes». La conférence de Braz­zaville, dans l’esprit de ses promoteurs, ne vise pas à liquider la notion de colo­nialisme; il s’agit avant tout de resserrer les rangs, puis de proposer l’assimilation comme alternative à l’indépendance.

     

    La Conférence, qui réunit des gouver­neurs et des représentants de l’Assem- blée consultative, recommande des ré­formes administratives, mais aussi éco­nomiques et sociales (suppression du travail forcé, développement de l’ensei­gnement et de l’hygiène). Elle prône la création d’assemblées locales, tablant sur les colons et les «évolués», et demande que tous les peuples soient représentés au Parlement. Elle annonce, en somme, l’Union française fondée en 1946.


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  • La naissance de la Résistance

    «Où je meurs renaît la patrie» (Aragon)

    Le 14 juillet 1940 — jour symbolique —, le général de Gaulle passe en revue, pour la première fois, les «Français libres» rassemblés sur le sol britannique. Ils ne sont guère plus de 300, y compris les pêcheurs de Hle de Sein, mais ils for­ment la pierre angulaire de la «Résistan­ce extérieure».

    En fait, «Résistance intérieure» et «Ré­sistance extérieure» sont complémentai­res. Mais toutes deux seront longues à se développer. Lorsque, le 14 juin, les troupes allemandes pénètrent dans la capitale, les Parisiens sont atterrés: ils ne peuvent croire à une défaite aussi soudaine. Mais la propagande, pétainis- te et allemande, achèvera de dérouter un peuple démoralisé; la France est la victi­me de mauvais dirigeants et de généraux incapables. Le mieux est donc de coexis­ter avec l’ancien ennemi et même de col­laborer avec lui. A cette époque, même L’Humanité invite les ouvriers français à fraterniser avec les occupants. 11 faut dire que l’URSS et l’Allemagne ne sont pas encore en guerre.

    Pourtant, au moment où Paul Reynaud le nomme sous-secrétaire d’Etat à la Dé­fense, le général de Gaulle affirme: «Si la guerre de 1940 est perdue, nous pou­vons en gagner une autre.» Son départ pour l’Angleterre, le 17 juin, au lende­main du changement de régime, et l’appel du 18 juin restent dans le droit fil de cette déclaration.

    Au début, sur le sol français, la Résis­tance est le fait d’individus isolés: ainsi, une veuve, Mme Blain, fabrique de faux papiers d’identité. Il existe en outre des groupuscules encore mal organisés et sans ressources. Dès la fin juin, ces patriotes étudient le moyen de faire pas­ser des informations militaires aux Bri­tanniques, par l’Espagne ou la Suisse. Un des premiers réseaux est celui du «Musée de l’Homme», qui réunit des personnalités aussi diverses que Boris Vildé, Anatole Lewitsky, Claude Aveli­ne, Jean Cassou, Paul Rivet ou Germai­ne Tillon.

     

    Puis, peu à peu, surgissent les grands mouvements, comme «Libération-Sud», «Combat», «Franc-Tireur», au sud; «Libération-Nord», «Front national», O.C.M. («Organisation civile et militai­re»), C.D.L.L. et C.D.L.R. au nord. Mais ils ne se développeront guère avant la fin de l’année, voire 1941. On colle des papillons sur les murs, on publie des feuilles clandestines. Parfois même, on entre dans la Résistance par hasard: pour avoir hébergé un évadé ou un parachuté, pour avoir caché des armes ou distribué des tracts.


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    La rafle du Vél d’Hiv - 16-17 juillet 1942

    Le «jeudi noir»

    Les 16 et 17 juillet 1942, 12884 Juifs étrangers sont arrêtés et regroupés au Vélodrome d’Hiver, à Paris. Que restera-t-il de ces gens des deux sexes, de tout âge, parfois infirmes, à la libéra­tion du camp d’Auschwitz, en 1945? Un peu de cendres. Seules quelques dizaines de personnes, une centaine peut-être, auront survécu.

    Le nazisme officialise l’antisémitisme: ainsi se succèdent les premières persécu­tions et le premier exode (1933), les lois racistes de Nuremberg-(1935), la «nuit de cristal» (9 novembre 1938), enfin la «solution finale du problème juif», c’est- à-dire le génocide de 6 millions d’hom­mes (dès 1942).

    A partir de juillet 1940, un mois après le début de l’occupation, la Gestapo et les autorités militaires allemandes multi­plient les mesures contre les Juifs: pillage de leurs biens, encouragement aux com­mandos du Parti populaire français, etc. Certains organismes sont fondés par le gouvernement de Vichy lui-même: le commissariat général aux questions jui­ves, la police aux questions juives (PQJ). Théo Dannecker, chef de la sec­tion juive de la Gestapo, prend encore deux autres mesures importantes: le regroupement des organisations juives (afin de faciliter la déportation future) et le recensement des Juifs, organisé par la police française. Le fichier du Gross- Paris rassemblera 27 388 noms. Le gou­vernement Pétain élargit la définition allemande du «juif» et Pierre Laval déci­de d’inclure les enfants parmi les dépor­tés. Les autorités d’occupation créent des camps d’internement (Drancy,Beaune-la-Rolande, Pithiviers), gérés par la gendarmerie française. Peu à peu, les persécutions prennent de l’ampleur: rafles diverses à partir de mai 1941, res­trictions de la liberté de déplacement, couvre-feu spécial, port obligatoire de l’étoile jaune, interdiction d’entrer dans les lieux publics...

    Au début de juillet 1942, les SS Dan­necker et Rôthke rassemblent plusieurs hauts fonctionnaires parisiens pour dis­cuter des détails de l’opération «Vent printanier». Le 15, certains Français au courant des préparatifs (militants com­munistes et inspecteurs) avisent les futu­res victimes, ce qui explique en partie le nombre de personnes épargnées.

    Le 16, le «jeudi noir», à 3 heures du matin, commence l’opération. Des auto­bus transportent gendarmes, gardes mobiles, agents, inspecteurs et membres du PPF. Ils vont arrêter les Juifs à leur domicile, les conduisent au Vél d’Hiv où, dans des conditions sanitaires atro­ces, ils attendent, entassés, misérables et hagards, sous un soleil torride, la dépor­tation vers Drancy ou Beaune-la- Rolande, puis vers Auschwitz. D’autres convois suivent. Le dernier part huit jours avant la libération de Paris, le 17 août 1944.

     

    «Auschwitz, c’était l’enfer! Mais peut- on se représenter l’enfer lorsqu’on n’y a pas été?» (André Montague).


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