• L’affaire Malet - Octobre 1812

    Le colosse aux pieds d'argile

    Chef de la Xe cohorte de Paris, le com­mandant Soulier grelotte de fièvre dans sa chambre de la caserne Popincourt quand, à l’aube, un planton vient l’aver­tir qu’un général en grande tenue veut lui parler. Introduit, le visiteur annonce brusquement au malade la tragique nou­velle: l’Empereur est mort, il a été tué devant Moscou! Entendant ces mots, le vieux brave défaille, anéanti par la dou­leur. Mais il doit écouter la suite: il apprend qu’un gouvernement provisoire nouvellement constitué lui ordonne, à lui, Soulier, de mettre sa cohorte à la disposition des autorités. Le pauvre homme obéit, sans même regarder les documents prouvant l’authenticité des actes. En ce matin du 23 octobre 1812 commence l’étonnante affaire Malet qui mettra l’Empire à deux doigts de sa perte.

    Incarcéré à deux reprises pour complot républicain, le général Claude-François de Malet, tête brûlée s’il en fut, s’est enfin échappé pendant la nuit de la mai­son de santé où il était gardé. Son plan est simple: profitant de l’absence de Napoléon, alors au fond de la Russie, et de la lenteur des communications, il annonce à quelques naïfs militaires la fin de l’Empereur et l’avènement de la répu­blique. Au début, tout va bien, grâce à la crédulité de Soulier. A la tête de la cohorte, Malet se rend à la prison de la Force, où il délivre deux amis, les géné­raux Guidai et Lahorie. Il les charge d’aller, avec une partie des troupes, arrêter le préfet de police et le ministre Savary en leurs domiciles respectifs.

     

    Deux heures plus tard, ces personnages sont embastillés. Malet a gardé pour lui la mission la plus difficile: prendre pos­session du quartier général de la place de Paris. Arrivé place Vendôme, il va trouver le général Hulin, commandant en chef. Celui-ci, méfiant, résiste. Pour le faire taire, Malet lui fracasse la mâ­choire. Puis il gagne l’hôtel de l’état- major, où il est reçu par deux officiers énergiques qui comprennent vite la mys­tification. Appelant à l’ai4e, ils ligotent le conspirateur et l’envoient derrière de solides verrous. Commencée à 3 heures du matin, l’affai­re était terminée à 9 heures, mais les autorités avaient eu très peur. Un procès s’ouvrit. Malet prit sur lui toute la res­ponsabilité du complot et fut condamné à mort avec 10 «complices» parmi les­quels Soulier qui avait en vain plaidé la bonne foi et le devoir d’obéissance. Napoléon était sur la route de Smolensk lorsqu’un courrier lui apporta la nouvel­le. Sa colère éclata: au seul bruit de sa mort, tout le monde avait donc perdu la tête! Aucun de ses fidèles n’avait su dire: «Napoléon Ier est mort, vive Napo­léon II!» A 600 lieues de Paris, l’Empereur pouvait à bon droit s’inquiéter; il voyait clairement la fragilité de sa dynastie.


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  • L’Empire libéral - 1860-1870

    Recherche d'un nouvel équilibre politique

    Aux environs de 1860, le second Empire amorce une lente évolution: il se fait moins autoritaire. Le régime est alors à l’apogée de sa puissance et Napoléon III peut se laisser aller à moins de rigueur. Il doit en outre rechercher de nouveaux appuis en direction des libéraux, car ses choix en politique extérieure ont éloigné de lui les conservateurs. L’appui que la France a apporté aux partisans de l’uni­té italienne lui vaut l’hostilité des catho­liques qui n’admettent pas que le pou­voir temporel du pape soit ruiné. La signature du traité de libre-échange avec l’Angleterre (1860) mécontente les milieux d’affaires, partisans du protec­tionnisme.

    L’empereur fait donc des concessions: un décret de 1860 donne le droit d’adresse au Corps législatif; des minis­tres sans portefeuille sont chargés d’éta­blir un dialogue avec les Assemblées; les débats de ces dernières sont publiés inté­gralement. Le budget est désormais voté par sections. L’enseignement se libérali­se et se laïcise. Mais, loin de se rallier, l’opposition se réveille. La première adresse critique sévèrement la politique officielle à propos de la «question romaine»; le député catholique Keller accuse le gouvernement de n’être «ni conservateur ni révolutionnaire». Aux élections de 1863, la gauche et la droite s’unissent contre le régime de pouvoir personnel et forment une Union libérale dont 35 députés sont élus. Thiers est parmi eux. Il réclame aussitôt des réfor­mes essentielles: liberté individuelle, de presse, de réunion, élections, régime parlementaire.

    Partagé entre son goût du pouvoir et ses velléités libérales, l’empereur hésite. La maladie le mine, sa volonté vacille, sa politique devient cahotante. Demi- réformes, périodes d’inaction et mouve­ments de recul se succèdent. En 1868, le droit d’interpellation remplace le droit d’adresse, la surveillance de la presse disparaît, les réunions sont plus libres. Mais les échecs du pouvoir se multi­plient: Napoléon III ne parvient pas à se concilier la classe ouvrière, bien qu’il ait octroyé le droit de grève en 1864. L’opposition gagne encore du terrain. On ne compte plus les revers de la poli­tique extérieure.

     

    Rassemblant autour d’Emile Ollivier les partisans d’un Empire parlementaire, le tiers parti est de plus en plus influent; il progresse considérablement aux élec­tions de 1869, et Napoléon III accepte d’appliquer son programme. Le Corps législatif a désormais le droit d’élire son bureau, de proposer des lois et d’inter­peller le gouvernement à défaut de pou­voir le renverser. L’opposition se déve­loppe encore. Le plébiscite de 1870, en posant cette question insidieuse: «Approuvez-vous ou non les réformes libérales?», parvient à la désarmer quelque peu. Mais la guerre franco- allemande prouve la fragilité du régime en provoquant son effondrement.


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    Les massacres de Septembre 1792

    Des horreurs injustifiables

    Le tocsin sonne à travers Paris terrifié. Depuis quelques jours, les mauvaises nouvelles affluent: les Austro-Prussiens déferlent sur le territoire, Longwy a capitulé et la place de Verdun est inves­tie. Chacun veut se persuader que la France a été trahie. La colère populaire gronde contre les prêtres et les nobles. Le Comité de surveillance de la Com­mune attise les haines, tandis que des journalistes révolutionnaires, comme Marat, Fréron ou Gorsas, poussent le peuple à la vengeance. La prédication sanglante va produire son effet, la peur dégénérant en un délire de violence col­lectif. Danton, qui appelle les volontai­res aux armées, trouve naturel qu’avant leur départ Paris soit purgé des éléments suspects. Le 28 août 1792, l’Assemblée a autorisé les municipalités à opérer des visites domiciliaires et les arrestations se sont multipliées. Des hommes courent aux prisons, armés de piques et de fusils. Commencés le 2 septembre 1792, les massacres durent, à Paris, quatre lon­gues journées.

    Le signal des horreurs est donné au car­refour Buci: des prisonniers que l’on transférait à l’Abbaye sont égorgés sur place. Les tueurs gagnent ensuite cette même prison de l’Abbaye où, très vite, les cadavres s’entassent. A la même heure, au couvent des Carmes, des dizaines de prêtres réfractaires sont abattus. A la Force, à la Conciergerie, au Grand Châtelet, les détenus connais­sent un même cauchemar. Tout un petit scénario a été mis sur pied. Sortis de leurs cellules, les malheureux comparaissent devant un tribunal populaire improvisé. En quelques secondes, leur sort est fixé sans qu’aucun puisse con­naître les motifs de la sentence. Quelques-uns sont renvoyés chez eux. Les autres, soi-disant «élargis», trou­vent une mort instantanée derrière la porte, sous les huées des tueurs et des mégères, plus excitées que les hommes. Parmi les victimes, on compte des repré­sentants de l’aristocratie (comme la princesse de Lamballe) et de nombreux ecclésiastiques, mais aussi des prison­niers de droit commun (au cloître des Bernardins), des filles publiques (à la Salpêtrière) et même de pauvres dé­ments (à Bicêtre). Le nombre des victi­mes a été estimé, pour Paris, entre 1300 et 1400, mais il y eut d’autres tueries à Orléans, Versailles, Meaux et Reims.

     

    Pas une voix ne s’éleva pour arrêter ces massacres. L’Assemblée restait muette devant la redoutable Commune. Danton n’intervint pas et Roland se borna à remarquer qu’il fallait jeter un voile sur ces horreurs. Robespierre, pris à partie à la Convention, justifiera ainsi les mas­sacres de Septembre: «Vouliez-vous une révolution sans révolution? A ce prix, quel peuple pourrait jamais secouer les tyrannies?»


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    Journée du 19 mars 1815 aux Tuileries

    La fuite du roi

    Le 5 mars 1815, la nouvelle du débar­quement de Napoléon à Golfe-Juan est accueillie à Paris avec le plus grand sang-froid. On fanfaronne dans l’entou­rage royal. Voilà, pense-t-on, une excel­lente occasion d’en finir avec l’usurpa­teur. «Vraiment, Sire, ce coquin de Bonaparte aurait été assez insensé pour débarquer! Il faut en remercier Dieu. On le fusillera et nous n’en entendrons plus parler», déclare le ministre de la Police. Seul Louis XVIII demeure cir­conspect.

    A mesure que les nouvelles parviennent aux Tuileries, l’optimisme fait place à la consternation: en dépit de déclarations fracassantes, les dignitaires militaires et civils sont impuissants; certains sont prêts à tourner casaque. Après Greno­ble, Lyon ouvre ses portes à l’Empereur. Ney est l’ultime rempart de la monar­chie. Le 16 mars au soir, on apprend qu’il a fait volte-face; plus rien n’em­pêche Napoléon de gagner la capitale. Autour du roi, les avis sont partagés quant à la conduite à tenir; certains envisagent de se porter à la rencontre de Bonaparte. Chateaubriand et Marmont veulent faire des Tuileries une forteresse dont la résistance enthousiasmerait la France; Vitrolles propose de se retran­cher à La Rochelle. Finalement, Mac- donald décide Louis XVIII à se retirer à Lille pour y attendre l’assistance de l'Angleterre. Cette résolution est tenue secrète. Les diamants de la couronne sont emportés furtivement dans le Nord; on détruit à la hâte les documents compromettants.

     

    Cependant, le matin du 19 mars, rien ne semble changé au protocole des Tuile­ries. Louis XVIII assiste à la messe puis, à midi, il passe en revue la maison militaire sur le Champ-de-Mars. Dans l’après-midi, il rédige une déclaration au peuple expliquant que son départ évitera une effusion de sang. A la nuit tombée, six lourdes voitures pénètrent dans la cour des Tuileries; quelques courtisans attendent; vers minuit, précédé d’un porteur de flambeau, le roi s’avance, appuyé sur Blacas et Duras. Des lamen­tations s’élèvent; chacun veut baiser la main du monarque qui déclare: «Mes enfants, votre attachement me touche. Mais j’ai besoin de forces. De grâce, épargnez-moi... Je vous reverrai bien­tôt.» Un temps détestable abrège les adieux et, accompagnées d’une mince escorte, les voitures s’enfoncent dans la nuit. Quelques heures plus tard, Napo­léon entre triomphalement aux Tuileries. Le roi, quant à lui, arrive à Lille le 22 mars. L’accueil y est si peu chaleureux que, le lendemain même, il doit prendre le chemin de l’exil. Il est vrai que celui-ci sera de courte durée: malgré son succès initial, la tentative de Bonaparte est pure folie si l’on songe au rapport réel des forces en Europe. Les puissances réu­nies à Vienne engagent immédiatement les hostilités. Cent jours plus tard, c’est Waterloo...


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  • L’assassinat du duc de Berry - 13 février 1820

    Tournant décisif du régime vers la réaction

    Sous la Restauration, seul le duc de Ber­ry, fils du comte d’Artois — le futur Charles X —, peut assurer la continuité de la branche aînée des Bourbons. Il a épousé Marie-Caroline, fille du roi de Naples, qui ne lui a encore donné qu’une fille lorsque, le 13 février 1820, un fanatique le poignarde à la porte de l’Opéra. Pendant son agonie qui dure jusqu’au petit matin, il supplie le roi, accouru en hâte, d’accorder sa grâce au meurtrier. Celui-ci a été aussitôt appré­hendé; c’est un ouvrier sellier du nom de Louvel. Il a voulu éteindre la dynastie des Bourbons. En dépit des derniers souhaits de sa victime, il est condamné à mort et exécuté. Son acte a été vain: le septembre naît un fils posthume que l’on célèbre comme l’enfant du miracle. Ce dauphin, le duc de Bordeaux, ne ré­gnera jamais: on lui préférera le duc d’Orléans lorsque Charles X abdiquera en sa faveur en juillet 1830. Il n’y a aucune conspiration derrière l’assassin. Il a agi seul. Mais les ultra- royalistes profitent de ce drame imprévu pour éloigner du pouvoir Decazes, le président du Conseil, qui a su devenir le favori du roi. Ils ne lui pardonnent pas d’avoir été l’artisan de la dissolution de la Chambre introuvable en 1816. Ils s’inquiètent de sa politique qui aspire à «royaliser la nation et nationaliser la royauté», c’est-à-dire à concilier cer­tains acquis de la Révolution avec les traditions monarchiques. Ils le rendent responsable de la poussée libérale, plus sensible à chaque élection. En 1819, pour souligner les dangers qui, selon eux, menacent la dynastie, les ultras ont favorisé l’élection de Pévêque constitu­tionnel Grégoire, qui s’est autrefois associé à la condamnation de Louis XVI. Ce scandale a poussé Decazes à préparer une loi électorale plus favo­rable à la droite.

     

    Dès le 14 février, Clausel de Cousser- gues propose à la Chambre de «porter un acte d’accusation contre M. Decazes comme complice de l’assassinat du duc de Berry». Chateaubriand renchérit: «Les pieds lui ont glissé dans le sang.» Decazes propose aussitôt la nouvelle loi électorale et deux projets restreignant la liberté de la presse et la liberté indivi­duelle. Cela ne suffit pas à réduire l’ani- mosité de ses adversaires. Coalisées, la droite et la gauche font savoir qu’elles ne voteront pas ces lois, et, malgré le soutien du roi, Decazes doit se retirer. Le duc de Richelieu le remplace. L’assassinat du duc de Berry démontre que toute réconciliation entre ultraroya- listes et libéraux dans un parti centriste est illusoire. Il inaugure une période de réaction brutale qui dresse définitive­ment le pays contre les Bourbons.


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