• Un illustre capitaine

    Turenne

    Petit-fils de Guillaume d’Orange et deuxième fils du duc de Bouillon, Henri de La Tour d’Auvergne, vicomte de Turenne, né à Sedan le 11 septembre 1611, est élevé dans un calvinisme austère. Jugé trop faible pour embrasser la carrière des armes, il obtient cependant de servir en Hollande sous les ordres de ses oncles, Maurice et Henri de Nassau (1625-1629). Il entre ensuite au service de la France et se fait remarquer en Lor­raine, aux Pays-Bas et en Italie. En dé­pit de sa qualité de protestant et de la ré­volte de son frère, le duc de Bouillon, il commande en 1642 l’armée qui pénètre en Roussillon. Fait maréchal de France par Mazarin, Turenne jouit alors d’une grande célébrité et passe déjà pour un des meilleurs chefs de guerre de l’épo­que, tout en présentant un contraste absolu avec le prince de Condé. D’un abord bourru, mais adoré de ses soldats, il n’est pas l’homme des grandes inspira­tions sur le champ de bataille. Mais c’est par la sûreté du raisonnement, la prévi­sion, qu’il prépare ses campagnes. Très cultivé, il connaît les guerres du passé et, pour lui, une bataille n’est souvent qu’une réminiscence. Il mène, de 1645 à 1648, une brillante campagne en Alle­magne du Sud (victoires de Nôrdlingen et de Zusmarshausen) qui hâte la con­clusion des traités de Westphalie (1648). Pendant la Fronde, Turenne hésite lon­guement avant de se laisser entraîner dans le camp des rebelles par sa passion pour la duchesse de Longueville. Mais il se ressaisit, prend la tête des troupes royales, bat Condé à Etampes et le rejette dans Paris. Son crédit est alors immense et Anne d’Autriche lui écrit: «Vous venez une seconde fois de mettre la couronne sur la tête de mon fils.» Dès lors, Turenne joue le rôle déterminant dans la guerre contre l’Espagne; il déga­ge Arras et gagne, en 1658, la bataille des Dunes, près de Dunkerque, décidant l’adversaire à signer le traité des Pyré­nées.

     

    Au début du règne personnel de Louis XIV, Turenne, fait maréchal des camps et des armées du roi, est au sommet de sa gloire. En 1668, il a abjuré le protes­tantisme. Pendant la guerre de Hollan­de, il prépare le passage du Rhin et sur­tout, pendant l’hiver 1674-1675, il mène une des plus belles campagnes de l’his­toire militaire, surprenant les Impériaux et les rejetant d’Alsace. En 1675, Turenne envisage de se retirer à l’Oratoire, mais Louis XIV lui confie un nouveau commandement. Le 27 juil­let 1675, il trouve la mort à Sasbach. Le héros est enseveli à Saint-Denis. En 1800, Bonaparte, alors Premier consul, ordonnera que ses restes soient transfé­rés aux Invalides.


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  • La belle cordière

    Louise Labé

    Née à Lyon en 1524, de Pierre Charly ou Charlieu, dit Labé, d'origine italien­ne, d’une beauté et d’un esprit remar­quables, Louise Labé représente le cou­rant «féministe» de la Renaissance. Mais peu importe le sexe en présence du talent.

    Une éducation parfaite conjugue chez elle l’érudition, l’amour des lettres classi­ques, l’habileté à lequitation et à l’escri­me. Elle a la passion de l’aventure: à 16 ans, elle accompagne les troupes royales qui passent par Lyon sur la route du Roussillon. Les soldats l’appellent «Ca­pitaine Loys». Au retour, elle épouse un riche cordier, Ennemond Perrin, qui l'admire et la comprend.

    Elle tient à Lyon, véritable capitale du royaume au moment des guerres d’Ita­lie, une cour brillante où se retrouvent galants et beaux esprits. Elle y brille par son œuvre poétique qui paraît en 1555. Elle revendique pour les femmes un sta­tut social qui inquiète quelque peu la gent masculine; pour elle, la femme doit participer à la promotion des idées nou­velles. Dans une épître dédicatoire à Clémence de Bourges, Lyonnaise, Loui­se Labé explique que la science est géné­ratrice: d’honneur, de vertu, grâce à l’émulation qu’elle suscite entre les sexes; de plaisir, par le contentement durable qui naît de l’étude.

    Les sonnets de Louise Labé révèlent la poésie de son âme. «La Belle Cordière», évoquant les contradictions de l’amour, rajeunit ce thème traditionnel: «Je vis, je meurs...» Elle subit les assauts d’Eros sans les vouloir ni les prévoir, soupirant:

     «Mon bien s’en va, et à jamais il dure...» Elle rapproche le printemps du monde et celui des sentiments; entre la nature et l’âme humaine, elle établit mille corres­pondances, s’adressant à Zéphir comme à un confident qui serait un peu magi­cien. A la métamorphose de la nature correspond, sous l’effet de l’amour, la métamorphose de la femme. Enfin, l’emploi heureux du trimètre s’ajoute, chez Louise Labé, à la musicalité du vers.

     

    Lyrique mais aussi lucide, elle dépeint l’amour comme un sentiment fatal et tyrannique: il choisit son heure et n’a aucun égard à l’âge; elle évoque «l’âpre rigueur de son tardif tourment»; si elle souffre des critiques adressées à sa vie, elle ne rend pas la pareille; sans illusions sur les atteintes de l’âge, elle dépeint le «ridé labourage» et «le chef gris» comme la vaine ambition de ressusciter la beauté perdue. Louise Labé meurt à Lyon en 1566, laissant trois élégies, vingt-quatre son­nets et un drame au thème classique, Débat de la Folie et d’Amour


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  • Une nouvelle peinture de l’amour

    L’abbé Prévost

     

    La vie de Prévost a été aussi mouve­mentée que celle de ses héros. Il a dit de lui-même: «Je suis la chimère de mon siècle: ni clerc ni laïc.» Né à Hesdin (Pas-de-Calais) dans la bourgeoisie aisée, élève des jésuites de sa ville natale, il s’enfuit à 16 ans pour s’engager dans l’armée. A la suite d’on ne sait quelle affaire trouble, il se réfugie chez les bé­nédictins de Jumièges, fait son noviciat et prononce ses vœux en 1721. Ordonné prêtre à Amiens en 1726, il prêche bril­lamment, à Paris, à l’abbaye des Blancs- Manteaux et à Saint-Germain-des-Prés, tout en commençant à écrire. Les quatre premiers tomes de son roman Mémoires et Aventures d’un homme de qualité paraissent en 1728. Les trois volumes suivants, dont le septième et dernier contient L’Aventure de Manon Lescaut et du chevalier Des Grieux, sont publiés en Hollande en 1731, puis en France où ils sont interdits en 1733. Sans attendre les foudres de l’autorité, l’abbé Prévost passe à l’étranger: on le retrouve aux Pays-Bas, où il se lie avec les protes­tants français et rencontre Voltaire, ou en Angleterre, où il est précepteur d’un jeune noble, fait de la prison et se cache sous le nom d’Islebourg puis d’Exiles. Rentré en France en 1735, Prévost réintègre son couvent de bénédictins, devient l’aumônier du prince de Conti, fréquente la bonne société et lance, en 1740, une gazette dont il est le seul ré­dacteur, Le Pour et le Contre. Il s’expa­trie une dernière fois entre 1741 et 1742 vers l’Allemagne et l’Angleterre. A par­tir de 1747, il mène une vie à peu près régulière dans sa maison de Chaillot où il reçoit ses amis, dont le plus fidèle est Jean-Jacques Rousseau. Ses dernières années se passent à Saint-Firmin, près de Chantilly, où il rédige l’histoire de la maison de Condé. Toujours endetté, toujours à court d’argent, le bonhomme Prévost est un polygraphe inlassable: il a laissé plus de 100 volumes d’œuvres diverses et inéga­les; citons parmi ses romans, Cleveland, Le Doyen de Killerine, Histoire d’une grecque moderne, à peu près illisibles aujourd’hui, et un chef-d’œuvre sans rides, Manon Lescaut. Traducteur de Hume, de Swift, de Richardson, il a introduit la littérature anglaise en Fran­ce, y faisant connaître Paméla, Grandi- son et Clarisse Harlowe, qui a inspiré à Diderot La Religieuse; il a contribué à l’essor du roman en mettant à la mode le genre sentimental propre au XVIIIe siècle et dont Manon reste le meilleur exemple. Au récit tendre et languissant des amours «honnêtes», Prévost substi­tue la peinture réaliste de scènes violen­tes, de coups de théâtre, de drames inté­rieurs provoqués par des passions tyranniques et fatales. Il pose la ques­tion de la liberté humaine et du fameux droit au bonheur dont parlera Saint- Just. Il interprète fidèlement son siècle en pleine mutation.


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  • Paul Gauguin

    Une quête acharnée

    En 1965, Tahiti inaugure enfin un musée consacré au plus célèbre de ses habitants: Paul Gauguin. Cet institut nous renseigne à la fois sur l’œuvre et sur la vie du grand peintre. L’une explique l’autre beaucoup plus que chez d’autres artistes.

    Le père de Gauguin, journaliste libéral parisien, doit s’exiler en 1851 à Panama. La mère de l’artiste, de famille péruvien­ne noble, militante saint-simonienne et femme de lettres extravagante, se rend à Lima. Paul a 3 ans; son séjour au Pé­rou, chez son oncle, don Pio de Tristan y Moscoso, le marque profondément.

    A 17 ans, le jeune Gauguin s’engage dans la marine, visite Rio, Bahia, la Scandinavie. Et puis, soudain, il semble renoncer à l’aventure, travaille chez un agent de change, épouse en 1873 une jeune Danoise, Mette Gad, qui lui donne cinq enfants.

    Très tôt, Gauguin, comme Schuffenec- ker et G. Arosa, se met à collectionner les peintures impressionnistes; puis il commence à peindre et à sculpter; il participe même à des expositions (1880- 1882). C’est alors qu’il décide, au grand dam de sa femme, de quitter la Bourse. Il cherche l’inspiration à Rouen, à Copenhague, à Pont-Aven, à la Martini­que.

    Après une période bretonne influencée par Cézanne, Degas et, surtout, Puvis de Chavannes, il s’inspire de Van Gogh, jusqu’au jour de leur rencontre drama­tique à Arles (1888). Dès lors, ayant quitté définitivement sa famille en 1885, il séjourne alternativement en France, surtout en Bretagne (1888-1891, 1893-1895), et en Polynésie. De Pont-Aven, il rapporte des toiles aussi différentes que le Portrait de Madeleine Bernard et Le Christ jaune. A Tahiti, où il est ébloui par la beauté de l’île et de ses habitants, il crée Les Tahitiennes au bain, mais aussi une vaste composition D’où venons-nous? Que sommes-nous? Où allons-nous? dont le titre seul est tout un programme.

    En 1889, ses toiles suscitent rires et laz­zi; en 1891, à Tahiti, il fuit ses compa­triotes et leurs mesquineries pour vivre parmi les indigènes. Aux problèmes financiers, un instant résolus par un hé­ritage, se mêlent, au début des années 1890, des déboires sentimentaux (ren­contre d’Annah la Javanaise, dernière entrevue avec sa femme). Il est ruiné dans sa santé, en butte aux persécutions des autorités; pourtant, il ne cesse de peindre et de sculpter; il marque sa con­ception originale de l’organisation des figures en leur donnant un caractère monumental. Les diverses formes de son art influenceront profondément les peintres et les sculpteurs du XXe siècle, comme Derain, Picasso et Modigliani. Il influencera aussi les fauves par son art de colorer.

     

    Il meurt en 1903 aux Marquises, quel­ques années après avoir tenté de mettre fin à ses jours. Mais il aura légué aux artistes futurs «le droit de tout oser».


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  • L 'homme à tout faire

    Diderot

     

    Denis Diderot

     

    L'encyclopédie

    C’est à Langres, aux confins champe­nois et bourguignons, que naît Denis Diderot, le plus brillant polygraphe du XVIIIe siècle.

    Après de bonnes études dans sa ville natale, il va poursuivre sa formation à Paris. Il y mène d’abord une vie insta­ble; esprit curieux, très jaloux de son indépendance, bohème, il touche à tout, s’initiant ainsi aux formes les plus variées de la vie culturelle.

    En 1746, il fait une rencontre décisive: celle du libraire Le Breton, qui le charge de mettre sur pied une somme de toutes les connaissances humaines: Y Encyclo­pédie.

    Malgré ce travail gigantesque, il trouve du temps pour d'autres ouvrages, y ré­vélant une pensée déjà très audacieuse. Dans sa Lettre sur les aveugles à l'usa­ge de ceux qui voient, il fait profession d’athéisme, ce qui le conduit pour trois mois à la prison de Vincennes.

    A peine libéré, il se remet à l’œuvre; se lançant dans les controverses du temps, il prend vite la tête du parti des «philo­sophes». S’intéressant à la critique litté­raire, il prétend rénover complètement le genre dramatique; il publie deux pièces médiocres où s’étale une sensiblerie assez ridicule pour cet esprit fort. Il aborde aussi le roman. Dans l’un des plus connus, Le Neveu de Rameau, il donne libre cours à sa verve et à sa fan­taisie.

    Il précise ses idées philosophiques dans Le Rêve de d’Alembert, essai psychana­lytique avant la lettre, où ses vues maté­rialistes apparaissent à l’évidence. La solitude ne convient pas à cet esprit pétulant. Diderot entretient les relations multiples que nécessitent ses combats d’idées; avec son amie et confidente Sophie Volland, il échange une corres­pondance de vingt années, qui témoigne d’un amour sincère.

    Mais il n’est pas né pour la vie de famil­le; il préfère la vie agitée des salons, comme celui du baron d’Holbach, quar­tier général des philosophes; il y ren­contre Condillac, Turgot, Rousseau, Helvétius; les étourdissant de sa verve, il est l’âme de leur cercle subversif qui veut exalter la nature en «écrasant l’infâme».

    La consécration lui vient de la lointaine Russie: la tsarine Catherine II corres­pond avec lui et lui achète sa bibliothè­que. Dès lors', il ne cesse plus de chanter les louanges de sa grande protectrice qu’il appelle «la Sémiramis du Nord». En 1773, il lui rend même visite à Saint- Pétersbourg; il en profite pour lui suggé­rer un audacieux plan de constitution politique pour l'Empire russe.

    Ses dernières années sont paisibles grâ­ce aux libéralités de sa «souveraine». En 1784, il est emporté par une attaque d’apoplexie.

     

    Par ses intérêts multiples et sa prodi­gieuse activité, Diderot a tenu tous les fronts de la croisade qui, plus tard, dé­clenchera la Révolution française.

     


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