• Opération JERICHO, une évasion fracassante

    Les frères Ponchardier, Pierre à gauche, Dominique à droite. Photo prise vers la fin des années 1950 sur le porte-avions Lafayette, alors commandé par Pierre.

    Le 18 février 1944, la Royal Air Force britannique attaque la prison d’Amiens, dans une action combinée aéroterrestre, avec l’aide du réseau de renseignements et d’action « Sosies » de la France combattante. L’opération, baptisée JÉRICHO, a pour but de libérer des résistants. Le réseau de renseignements « Sosies » a été créé par les frères Ponchardier. Pierre, né en 1909, est alors lieutenant de vaisseau, pilote de l’aéronavale, et Dominique, né en 1917, est étudiant en mathématiques. Leur réseau couvre l’ensemble de la France. Pierre est responsable du sud du pays, et Dominique du nord. Au début de l’année 1944, « Sosies » subit de lourdes pertes en Picardie. Plusieurs agents ont été fusillés et d’autres capturés et détenus à la prison d’Amiens, en attendant leur exécution. « Le moral de mes types est très bas ; ils sont fatigués. Il est temps de réaliser un coup spectaculaire », écrivit Dominique Ponchardier dans un rapport, aujourd’hui conservé aux Archives nationales. C’est ainsi qu’il imagina l’attaque de la prison et obtint l’aide de la Royal Air Force (RAF) en reconnaissance de services rendus. « Des détenus dignes de confiance sont prévenus. Le voisinage de la prison est dans le coup. René Chapelle (adjoint de Ponchardier pour la Somme) réunit une vingtaine d’hommes et trois camions », relate le rapport. Selon plusieurs historiens, les Britanniques apportèrent d’autant plus volontiers leur aide à cette action qu’elle coïncidait avec l’opération FORTITUDE, visant à faire croire qu’un débarquement allié aurait lieu en baie de Somme. Pagaille inouïe À midi, le 18 février 1944, 19 bombardiers biplaces Mosquito3 de la 140e escadre de la RAF, avec à leur bord des Britanniques, des Australiens et des Néo-Zélandais, volant à seulement 15 mètres d’altitude, frappèrent les murs de la prison, ouvrant plusieurs brèches. Dans l’enceinte, se trouvaient environ 500 prisonniers de droit commun et plus de 200 résistants. Des bombes détruisirent le réfectoire des gardes allemands, d’autres atteignirent, par erreur, les cellules des prisonniers. Trente sept Allemands et deux miliciens collaborationnistes furent tués, mais également 102 détenus français. Après la frappe, Ponchardier décrivit « une pagaille inouïe…, des tirs de mitraillette échangés avec les Allemands…pendant que les assaillants montent sur les brèches, ouvrent les portes et recueillent les prisonniers, soit dans les camions, soit chez les habitants des alentours, ou encore les aident à s’enfuir par leurs propres moyens ». C’est ainsi qu’environ 260 prisonniers dont 79 résistants s’évadèrent. « Il semblerait que les différents réseaux et mouvements aient réussi à retrouver tous les prisonniers résistants évadés, parfois aidés par Le Gorille vous salue bien des particuliers, qui ont recueilli des blessés chez eux », commente l’historien Philippe Pauchet, spécialiste de la Résistance dans la Somme. Chez les Britanniques, le lieutenant-colonel Charles Pickard, patron de l’opération aérienne, et son navigateur, le capitaine John Broadley, furent tués, ainsi que deux autres aviateurs. « Ce fut une opération coûteuse, mais dont la portée matérielle et morale dépasse, à mon avis, la simple région d’Amiens, car, avec un retentissement considérable en France et en Angleterre…, et avec un effet non moins retentissant dans les milieux allemands », écrivit en conclusion Dominique Ponchardier.

     

    Le Gorille vous salue bien

    Dominique Ponchardier quitte l’armée après la guerre. Sous le nom de plume d’« Antoine Dominique », il crée le personnage de Série noire « le Gorille », qui rencontre un immense succès avec une quarantaine de titres publiés. Certains comme Le Gorille vous salue bien, Le Gorille a mordu l’archevêque ont été portés à l’écran avec Lino Ventura puis Roger Hanin dans le rôle-titre de Géo Paquet, dit « Le Gorille », un agent secret français aux méthodes musclées et à la carrure massive ressemblant à celle des frères Ponchardier. Fidèle du général de Gaulle, Dominique Ponchardier dirige le service d’ordre, comptant 10 000 hommes, du Rassemblement du peuple français (RPF), le parti gaulliste, lors de la Guerre froide. Après le retour au pouvoir du général en 1958 et lors des derniers soubresauts de la guerre d’Algérie, il reprend du service actif comme chargé de mission dans la lutte contre l’Organisation armée secrète (OAS). Il est nommé ambassadeur de France en Bolivie en 1964, puis Haut-Commissaire de la République à Djibouti en 1969. Il décède en 1986. Poursuivant sa carrière dans la Marine, son frère Pierre est vice-amiral d’escadre quand il est tué dans un accident d’avion au Sénégal en 1961. Titulaire de 18 citations, il a commandé le célèbre Commando Ponchardier en Indochine, puis la demi-brigade de fusiliers marins en Algérie en 1956. Les deux frères sont Compagnons de la Libération.


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  • L’«Institution chrétienne» 1536

    «Pour instruire à la vraie piété»

     

    L'Institution chrétienne paraît en mars 1536, à Bâle, chez Thomas Platter et Balthazar Lasius, en latin. C’est un petit in-octavo de 520 pages, auquel Calvin assigne un double but: donner aux fidèles, dont le nombre s’accroît, un traité de philosophie chré­tienne qui distingue la doctrine protes­tante et en constitue l’armature; défendre les réformés en montrant la dignité de leur caractère et la légitimité de leur foi: leur croyance est celle de l’Ecriture; ils sont dans la vérité de l’Evangile. François Ier, auquel est dédié l’ouvrage, ne doit pas les persécuter mais les proté­ger, se rallier à eux dans le mystère de la vraie foi: tel est le sens de la préface du août 1535. L’ouvrage traite successivement du Décalogue, de la foi résumée dans le Sym­bole des Apôtres, de la prière, dont l’oraison dominicale fournit le type par­fait, des sacrements du baptême et de la Sainte Cène. Sont étudiés, en plus, les «faux sacrements» que l’Eglise romaine a ajoutés aux deux primitifs. Le dernier chapitre s’occupe de la liberté chrétien­ne, du pouvoir ecclésiastique et de l’administration civile. L'Institution chrétienne révèle la double formation de son auteur: la systéma­tique scolastique, qui prend la forme juridique d’une pensée tournée vers l’action; l’humanisme critique, qui remet en cause les institutions et pose le pro­blème du pouvoir. Calvin affirme avec vigueur et détermination les deux princi­pes fondamentaux de la Réforme: le Sola fide, poussé jusqu’à la prédestina­tion; le Sola scriptura, qui fonde une Eglise visible bannissant toute imagerie religieuse et qui refuse la présence réelle. Au centre de l’Eglise demeure le Christ, dont le sacerdoce est annoncé dans PAncien Testament. A sa base prennent place la communauté des fidèles et les pasteurs qui servent le «troupeau» par la prédication et la prise en charge des sacrements. En liaison avec PEglise agit l’autorité politique, basée sur les devoirs du chrétien envers l’Etat; ces devoirs ne découlent pas de nécessités opportunis­tes mais d’une obligation purement reli­gieuse. Le catéchisme de 1538, véritable quin­tessence de l’Institution chrétienne, reprend le problème des rapports de l’Eglise et de l’Etat, sujet non abordé par les catéchismes de Luther; on y trouve le trait le plus original de la pensée calvi­niste. En 1541, après le séjour du réformateur à Strasbourg, paraît l’édition française de l’Institution chrétienne. Le nombre des chapitres a passé de six à dix-sept; les éditions de 1559 et de 1560 compte­ront quatre livres; répandues largement en France, elles vont établir solidement la doctrine sans rien changer d’essentiel au texte de 1541, percutant et positif.


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  • Les Tuileries 1564

    Des pierres où s'inscrit l'Histoire

     

    L’histoire d’un pays s’écrit autant dans la pierre que dans les manuels: raconter les Tuileries, c’est raconter la France. Au XVIe siècle, au lieu dit «la Saison­nière», s’élevait une fabrique de tuiles qui donna son nom à la maison de cam­pagne bâtie, sur son emplacement, par le sieur Neufville de Villeroi. A la mort d’Henri II, Catherine de Médicis installe la cour au Louvre. La proximité des «Tuileries» lui donne l’idée d’y faire construire, par Philibert Delorme, une maison de plaisance à l’italienne, entou­rée d’un parc. Le plan qui est en fait celui d’un gigantesque palais est loin d’être achevé à sa mort. Seuls sont éle­vés alors le pavillon central et les deux galeries adjacentes. Henri IV, peu après son entrée à Paris, entreprend la construction de la Grande Galerie et du pavillon de Flore qui réu­nissent le Louvre aux Tuileries. Le pavillon de Marsan, œuvre de Le Vau, voit le jour sous Louis XIV. Le Nôtre embellit le parc, crée la magni­fique perspective centrale, creuse les bassins, aménage les parterres à la fran­çaise. De 1789 à 1792, les Tuileries abritent Louis XVI et sa famille que les émeu- tiers parisiens sont allés chercher à Ver­sailles en octobre 1789. 1792 est une année tragique pour le vieux palais: envahi une première fois le 20 juin, il est mis à sac au cours de la sanglante jour­née du 10-Août, qui voit le massacre de 600 gardes suisses. Rebaptisées Palais- National, les Tuileries sont occupées, en 1793, par la Convention, puis, en 1796, par le Conseil des Cinq-Cents. Une nou­velle vie de splendeur leur est insufflée par Napoléon qui crée la salle du Con­seil, reconstruit le théâtre, fait élever l’arc de triomphe du Carrousel. A partir de PEmpire et'jusqu’à la fin du règne de Napoléon III, les Tuileries jus­tifient leur vocation de résidence des souverains. Leurs vieux murs témoi­gnent de toutes les convulsions qui agi­tent les institutions de la France: la chute de l’Empire, la Restauration et les Cent-Jours, les Trois Glorieuses et la monarchie de Juillet. Le 24 février 1848, de nouveau, les révolutionnaires enva­hissent les Tuileries. Le gouvernement provisoire émigre au Luxembourg puis à l’Hôtel de Ville. Le pouvoir réintègre le palais avec Napoléon III, à la suite du coup d’Etat du 2 décembre 1851. En 1871, les Tuileries paient un triste tribut à la Commune. Arrosées de goudron et de pétrole, elles sont incendiées par les insurgés. Ce qu’il en reste sera démoli sous la IIIe République. Seuls les pavil­lons de Flore et de Marsan seront reconstruits. Dans leur magnificence, les jardins demeurent un modèle de grâce et de goût, avec la grande allée qui, d’un élan triomphal, s’ouvre sur la perspective des Champs-Elysées.


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  • La Renaissance

    Une nouvelle vision du monde

    La Renaissance du XVIe siècle se tra­duit non seulement par un retour aux sources antiques, mais aussi par un ample et profond renouvellement des mentalités; les élites saluent dans l’enthousiasme ce qu’elles croient être une aurore. De nos jours, on n’oppose plus formelle­ment Renaissance et Moyen Age, comme le faisait Burckhardt. En effet, le génie du Quattrocento recèle des struc­tures intellectuelles et morales qu’on retrouve en Italie, mais aussi en Flandre et en Allemagne du Sud où la civilisa­tion a évolué dans le même sens. L’Italie n’a pas créé la Renaissance; elle a seule­ment illustré avec un bonheur particulier les aspirations artistiques, littéraires, juridiques et scientifiques de toute l’Europe. L’élan créateur de la Renaissance s’appuie sur deux progrès fondamen­taux: l’invention et la diffusion de l’imprimerie, qui émancipe l’écriture et la pensée; les Grandes Découvertes, qui libèrent l’espace en élargissant le monde connu. S’y ajoutent les conditions socio­culturelles du XVIe siècle naissant: la montée de la bourgeoisie, passionnée de savoir; le rôle du prince qui organise son Etat et qui, épris de gloire, joue au mé­cène; le déclin d’organisations tradition­nelles comme le clergé et l’université; la solidarité raffermie des clercs et des artistes qui, rejetant les anciens cadres scolastiques, se groupent en académies et ouvrent au public l’univers de la for­me, de la beauté et de la connaissance. La science prend un essor qu’on mécon­naît trop souvent: l’anatomie, la physiologie, la chirurgie, les mathématiques progressent; en 1543, Copernic publie à Nuremberg son fameux traité, De revo- lutionibus orbium caelestium. En lettres, la philologie prend une place éminente avec l’édition et les commentaires des textes antiques, païens ou sacrés; Budé pour ceux-là, Erasme pour ceux-ci imposent leur autorité; l’étude du latin, du grec et de l’hébreu est pratiquée avec ardeur. Les sciences politiques appro­fondissent le droit romain et s’interro­gent sur les problèmes posés par le pou­voir et l’extension du rôle social des fonctionnaires. En art, c’est l’Italie qui est le berceau des plus grands maîtres: Léonard de Vinci, le génie universel, Michel-Ange, le titan, Raphaël, le vir­tuose de la forme et de la beauté. A Flo­rence, à Rome, bientôt à Venise, un art savant, dominé par la perspective, est à l’honneur; l’exemple est suivi au-delà des Alpes par Dürer à Nuremberg et par l’école de Fontainebleau en France. La Renaissance, c’est l’enthousiasme créateur sans doute, mais aussi la crise de conscience d’une élite qui vit intensé­ment les conflits renouvelés de la foi et de la raison, de l’inspiration et de la rè­gle, de la science et de l’ignorance, du cosmopolitisme et du nationalisme, de l’Antiquité et de la modernité, par-delà un Moyen Age qu’elle méconnaît et qu’elle rejette.


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  • L’expédition du Tonkin 1885

    Impérialisme oblige...

    Vers 1880, l’arrivée au pouvoir des ré­publicains opportunistes, avec Freycinet et, surtout, Jules Ferry, redonne à la France une politique coloniale. En Indochine, le seul problème qui inté­resse les Français est l’accès au marché chinois. En 1880, le gouvernement fran­çais décide d’envoyer des troupes au Tonkin. Cette intervention entraîne un double conflit avec l’Annam et la Chine. En 1883, le gouvernement annamite doit reconnaître le protectorat français. En 1885, une brusque révolte est vite réprimée. La Chine est déterminée à défendre sa suzeraineté sur la région. En 1883, elle envoie au Tonkin une armée régulière, tandis que le corps expéditionnaire fran­çais est porté de 9000 à 15 000 hommes. Une première guerre aboutit à la prise des places frontières de Son Tây (dé­cembre 1883) et de Bac Ninh (décembre 1884). Le 11 mai 1884, le premier traité de T’ien-tsin, négocié par le capitaine de frégate Fournier, est conclu. La Chine reconnaît le protectorat français sur l’Annam et promet de rappeler ses trou­pes. Cependant, le traité n’est pas appliqué; la Chine maintient ses troupes. Les combats recommencent mais sans dé­claration de guerre, car le gouvernement français tient à ménager l’opinion publi­que. L’amiral Courbet occupe Formose; il détruit 23 navires en face de Fou- tcheou, dont il bombarde les forts et l’arsenal. Il s’empare des îles Pescadores et assure le blocus du riz qui empêche la Chine du Nord de se ravitailler. Sur terre, Tuyên Quang, défendue par les 600 hommes du commandant Dominé et l’héroïque sergent Bobillot, résiste, du 21 décembre 1884 au 3 mars 1885, à une armée chinoise de 15000 hommes. Cependant, Jules Ferry accepte d’enga­ger des négociations de paix. Elles sont sur le point d’aboutir lorsqu’une dé­pêche du général Brière annonce que l’armée française a dû évacuer Lang Son et recule devant les Chinois. Cette nouvelle fait l’effet d’une véritable bom­be. Le 30 mars 1885, à la Chambre, Clemenceau prend violemment à partie le «Tonkinois», c’est-à-dire Jules Ferry, qu’il accuse, ainsi que ses collègues, de haute trahison. Jules Ferry ne se croit pas autorisé à divulguer les pourparlers avec la Chine. Il est battu par 306 voix contre 149 et doit démissionner. La séance est si houleuse qu’il doit même quitter la Chambre par une porte déro­bée. En fait, la situation militaire est meilleu­re qu’on le croit; le 9 juin 1885, un second traité de T’ien-tsin confirme les stipulations du premier. L’occupation de la péninsule indochinoise par la France est en bonne voie.


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