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    Une Allemagne déjà vaincue

     

    Dès 1941-1942, le Reich ne peut plus gagner contre les puissances industrielles que sont les États-Unis et l’URSS. En 1944, les Alliés sont maîtres du ciel et progressent sur terre. Quant aux armes secrètes nazies, elles relèvent de la science-fiction…

    L’Allemagne pouvait-elle encore gagner la guerre en 1944 ? Une telle question relève du plus pur fantasme depuis quelques décennies. Mais on peut d’emblée y répondre, et sans hésitation : non, en aucune manière ! En fait, et hormis la thèse – par ailleurs tout à fait recevable ! – stipulant que le Reich n’a jamais eu les moyens de gagner la guerre dans laquelle elle se lançait, la seule question sur laquelle les historiens discutent encore est : l’Allemagne a-t-elle perdu la guerre en décembre 1941 ou à l’été 1942 ? Mais, passé ces dates, le sort du régime nazi est de toute façon scellé.

    Face à une coalition planétaire

    Bien entendu, pour le soldat américain, soviétique ou canadien, le partisan yougoslave ou polonais, le  maquisard français, le résistant norvégien, ou encore le déporté des camps de la mort, qui tous durent affronter la puissance allemande au quotidien, le nazisme et son appareil militaire sont restés dangereux et mortels jusqu’au dernier jour du conflit. Un tel sentiment est compréhensible du point de vue du combattant de première ligne qui doit faire face aux dangers individuels, mais il ne change rien au fait que, au niveau global, l’affaire était entendue. Car l’Allemagne, puissance moyenne, faisait face à une coalition planétaire formidable, au sein de laquelle on comptait les deux plus énormes monstres stratégiques du moment notamment forts de leur puissance industrielle et démographique : les États-Unis d’Amérique et l’URSS !

    Les alliés du Reich, déjà faibles et peu nombreux, l’abandonnaient les uns après les autres, ou s’apprêtaient à le faire – cela avait déjà été le cas de l’Italie l’année précédente. Les titanesques industries américaine et soviétique noyaient littéralement la production allemande. Enfin, la machine de guerre nazie commençait à manquer de façon dramatique du « sang » même de la guerre industrielle : le pétrole, alors que les Alliés, et tout particulièrement les Américains, possédaient déjà l’immense majorité des ressources mondiales. Dès la première moitié de l’année 1944, la Luftwaffe avait été littéralement « assassinée » par les forces aériennes anglo-américaines dans le but d’obtenir une supériorité aérienne absolue au-dessus de l’Europe occidentale en prévision du débarquement de Normandie du mois de juin. Elle ne pourra jamais s’en remettre. Les cieux étaient désormais le royaume pratiquement sans partage des Anglo- Saxons. Côté océans, les sous-marins U-Boot allemands avaient été vaincus par la puissance aéromaritime alliée dès 1943 et, s’ils restaient dangereux, ils ne pouvaient plus espérer interrompre le flot de navires qui traversait sans interruption l’Atlantique, ni véritablement peser sur le cours des événements. Sur terre, les Alliés progressaient lentement mais inexorablement le long de la péninsule italienne ; ils s’apprêtaient à débarquer en France, d’abord en Normandie, à la fin du printemps, puis en Provence, au mois d’août suivant, ouvrant enfin le second front tant attendu par Staline. Sur le front de l’Est, les Soviétiques, enfin passés maîtres dans l’art opératif et les opérations combinées en profondeur d’armées gigantesques, lanceront cette année-là des offensives géantes qui anéantiront des groupes d’armées entiers de la

    Wehrmacht, notamment le groupe d’armées « Centre », qui sera détruit en Biélorussie en juin et juillet dans le cadre de l’opération Bagration. L’Europe allemande faisait eau de toutes parts et plus rien ne pouvait plus l’empêcher de sombrer, non sans voir préalablement son étendue et son emprise se réduire comme une peau de chagrin. Berlin n’en finissait plus de payer sa dramatique absence de pensée stratégique. L’excellence tactique et l’extraordinaire professionnalisme de ses troupes et de leur encadrement ne servaient plus qu’à prolonger indéfiniment un combat retardateur meurtrier pour ses adversaires, mais totalement vain. Certains, en Allemagne, caressèrent alors l’espoir de négocier la paix avec les Alliés occidentaux. Ils tentèrent, au mois de juillet, de se débarrasser d’Hitler, mais leur complot échoua piteusement. Aurait-il réussi qu’il n’aurait pas servi à grand-chose, car les Alliés s’étaient déjà mis fermement d’accord pour ne pas signer de quelconque paix séparée. Reste le grand fantasme des « armes secrètes » allemandes. Outre le fait que bon nombre de ces fameux projets étaient fantaisistes, ou au mieux peu efficaces, on peut se demander si l’industrie allemande pouvait réellement produire ces engins en masse. Ensuite, réussirait-elle à les approvisionner en carburant ? En se penchant avec un minimum de sérieux sur ces deux questions, on réalise rapidement que la réponse est non. Et l’on n’évoque même pas ici les difficultés qu’il y aurait eues à trouver et à former suffisamment de pilotes compétents pour guider les machines volantes dignes de romans de science-fiction qu’une certaine littérature se complaît à nous  présenter à intervalles réguliers. Sans compter avec le fait que les Alliés avaient eux aussi des armes secrètes, certaines encore à l’état de prototype, ou même de projet, d’autres sur le point d’être mises en service, à commencer par la plus importante d’entre elles, l’arme atomique, dont l’Allemagne ne pouvait pas disposer, car elle avait accumulé trop de retards à différents niveaux. Ce fantasme des armes secrètes s’apparente à celui de « l’arme décisive », lequel provient à son tour d’un troisième, encore plus ancien, et qui avait habité l’esprit des grands capitaines pendant des siècles : celui de la « bataille décisive », livrée en un point et un moment uniques.

     

    Fantasmes ou pensée magique

     

    Or, si l’on a péniblement fini par comprendre que la bataille décisive est soit un mythe inaccessible, soit un leurre, trop de penseurs ou de militaires n’ont pas su résister à la tentation de transposer cette chimère dans le domaine de la technique en ce XXe siècle où celle-ci apparaissait comme triomphante de tous les obstacles. Déjà, dans l’entredeux- guerres, des théoriciens avaient cru qu’une « arme décisive » allait pouvoir remplacer la « bataille décisive » : le char, le bombardier, le sous-marin, les gaz de combat furent successivement investis de ce pouvoir quasi magique. La croyance allemande dans les « armes secrètes » (ou, par la suite, la croyance a posteriori dans les armes secrètes allemandes) relève bien des mêmes fantasmes, auxquels il convient de régler leur sort. Car aucun objet technique, aussi puissant soit-il, ne peut à lui seul permettre de faire l’économie d’une réflexion, mais aussi d’une volonté politique, de l’élaboration d’une pensée stratégique et de la combinaison complexe de moyens nombreux et variés, parmi lesquels la possession de ressources – naturelles, économiques, industrielles, humaines, etc. On l’aura compris : le pire ennemi du stratège et de la stratégie, ce sont les fantasmes – politiques ou militaires – et ce que les ethnologues nomment la « pensée magique »… Et c’est notamment du fait de l’accumulation de tous ses handicaps que les nazis ont perdu cette guerre. En 1944 plus que jamais.

     

    Laurent Henninger, chargé d’études à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire


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  • Austerlitz - 2 décembre 1805

    Tonnerre sur l'Europe

    «Quand j’aurai donné une leçon à l’Autriche, je reviendrai à mes projets», déclare Napoléon en apprenant, en août 1805, que les Autrichiens s’apprêtaient, avec l’appui des Russes, à attaquer la Bavière, alliée de la France. Renonçant momentanément — à traverser la Manche, il fait «pirouetter» la Grande Armée du camp de Boulogne vers l’Alsace, franchit le Rhin, fait capituler le général Mack à Ulm et fonce sur Vienne. Après quelques journées pas­sées à Schônbrunn, il remonte vers la Moravie où se sont réunies les armées des deux empereurs, François II et le tsar Alexandre Ier. Lancé en flèche dans un pays hostile, il lui faut maintenant une victoire éclatante. Il s’arrête près d’un petit bourg au nom encore incon­nu: Austerlitz. Par d’habiles feintes, Napoléon va amener ses adversaires, supérieurs en nombre, sur le terrain qu’il a choisi. Pour mieux les tromper, il fait demander au tsar une suspension d'armes, évidemment refusée, et feint de reculer. Ayant évacué le plateau de Pratzen, il compte que les Austro- Russes prendront place sur ces hauteurs et tenteront ensuite de lui couper la route de Vienne. Le mouvement prévu s’effectue. «Ils donnent dans le piège; avant demain cette armée sera à moi!» s’écrie Napoléon au soir du 1er décem­bre. L’aube venue, les ennemis, descendus du Pratzen dans la plaine que recouvre un épais brouillard, attaquent en effet la droite française, commandée par  Davout. Celui-ci a ordre de résister mol­lement. Pendant ce temps, sur la gau­che, Soult s’élance à l’assaut du plateau, dont le sommet, alors, s’inonde de soleil le soleil d’Austerlitz. Les charges françaises sont effroyables; pendant quatre heures, les adversaires tour­noient, pris à revers, puis commencent à reculer. La garde impériale russe, jugée pourtant invincible, se laisse enfoncer. En vain, le général Koutousov essaie-t-il de reprendre le plateau. Ses troupes se débandent et cherchent à fuir, en contre­bas, sur des étangs gelés, mais les obus français font craquer la glace. Vers 16 heures, la défaite des Alliés est complète, les deux autocrates se sont enfuis et Napoléon va pouvoir lancer un ordre du jour fulgurant: «Soldats, je suis content de vous...» Les Alliés ont perdu 35 000 hommes alors que les Français comptent 8000 morts ou blessés. La paix de Presbourg, qui termine la cam­pagne, dépouille le Habsbourg de ses possessions italiennes et de certains ter­ritoires en Allemagne. Une ombre cependant ternit ce triomphe: la flotte de Villeneuve a été anéantie à Trafalgar par Nelson, l’Angleterre est désormais maîtresse des océans.


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