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Les Conventionnels s’inquiètent: conscients de leur impopularité grandissante, ils redoutent un coup de force royaliste. Sur le point de se séparer pour laisser la place au Directoire, l’Assemblée vient de décréter que les deux tiers des futurs membres du Corps législatif seraient obligatoirement choisis parmi les députés sortants, ruinant ainsi les espoirs de la droite. Les opposants, qui comptent dans leurs rangs les gardes nationaux d’un grand nombre de sections modérées — 32 sur 48 —, se sont donc préparés à l’attaque. Les rues de Paris sont couvertes de placards menaçants et les tambours battent le rappel. L’insurrection va éclater. Devant le danger, la Convention a fait sortir de prison d’anciens sans-culottes, tape-dur ou lécheurs de guillotine, qui vont renforcer les troupes fidèles. Mais Barras, nouvellement nommé commandant en chef de la force armée de Paris à la place de Menou, destitué pour sa mollesse, se sent de médiocres dons de stratège. Qui donc l’aidera à sauver la légalité? L’idée lui vient d’appeler à son aide un jeune artilleur qu’il a vu à l’œuvre deux ans plus tôt au siège de Toulon et qui semble teinté de jacobinisme: le 12 vendémiaire an IV (4 octobre 1795), le général Bonaparte reçoit la mission d’écraser dans l’œuf la rébellion. Sans perdre un instant, il envoie le chef d’escadron Joachim Murât au camp des Sablons, près de Chaillot, avec ordre de s’emparer des pièces d’artillerie, en grand danger d’être saisies par l’adversaire, et de les amener aux Tuileries. Le lendemain à l’aube, les canons sont dressés en batterie autour du château. Quelques heures plus tard, les insurgés attaquent à la fois sur les deux rives de la Seine. Le général Carteaux, posté au bas du Louvre, a reçu l’ordre d’arrêter une colonne, tandis que Bonaparte, rue Saint-Honoré, va mitrailler les royalistes massés sur les marches de l’église Saint- Roch. Aux Tuileries, les députés entendent les coups de feu et n’en mènent pas large. Pourtant, ils courent peu de risques et Bonaparte n’a pas grand-peine à balayer les assaillants. Mal dirigés par le général Danican, les rebelles se replient: il n’y a plus qu’à nettoyer les rues des quartiers. La Convention est sauvée! Elle se montrera généreuse dans sa répression, car elle redoute presque plus ses défenseurs sans-culottes que ses adversaires réactionnaires. Paris manifeste peu d’émotion et, le soir, les salles de théâtre sont pleines. Quant à Barras, il va, le 17 vendémiaire, présenter à PAssemblée les officiers qui l’ont aidé à triompher: «Bonaparte, annonce-t-il, a foudroyé l’hydre royaliste.»
Le futur directeur ne soupçonne guère la façon dont il se fera jouer, quelques années plus tard, par le petit Corse dont il est en train de faire la fortune.
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«Il faudra se soumettre ou se démettre»
Un seul mot pourrait caractériser ce tribun du peuple: celui de «démesure». Fougueux au barreau, il se montre ambitieux dans sa charte du radicalisme, partisan de la lutte à outrance en 1870, intransigeant l’année suivante, intraitable avec Mac-Mahon (1877), passionné dans sa vie privée.
Léon Gambetta, d’origine génoise, s’est fait un renom d’avocat en plaidant pour les républicains poursuivis par le gouvernement du second Empire. En 1869, il rédige le programme de Belleville, véritable profession de foi radicale; il est élu triomphalement dans deux circonscriptions: à Marseille et à Belleville (Paris). L’année suivante, tout en s’opposant à la guerre, il vote les crédits militaires qu’il juge indispensables. En septembre, faute de pouvoir contenir la Révolution, il cherche à la faire avaliser par le Corps législatif; il va lui-même proclamer la République à l’Hôtel de Ville. Il est nommé ministre de l’intérieur du gouvernement de la Défense nationale; à ce titre, il n’hésite pas à s’échapper en ballon de Paris assiégé pour diriger la résistance en province. Il désapprouve l’armistice: élu par neuf départements, il choisit symboliquement celui du Bas- Rhin. Il démissionne en mars pour protester contre la cession de l’Alsace à l’ennemi. Il se rend alors en Espagne, mais pour peu de temps. Aux élections complémentaires de 1871, il est candidat victorieux de la Seine. Dès lors, Gambetta est l’un des ténors les plus écoutés des républicains. Il fonde le quotidien La République française et entreprend une véritable tournée pour faire triompher ses idées. Il adopte une attitude très habile, dénonçant FAncien Régime tout en cherchant à se concilier la petite bourgeoisie. Il est un des champions de la gauche modérée, sous une étiquette que l’on qualifiera d’«opportuniste» par opposition aux tendances révolutionnaires. En 1873, il exhorte les républicains au calme face à Mac-Mahon et, deux ans plus tard, favorise l’accession au pouvoir d’une coalition gauche-centre-orléanistes et le vote de lois consacrant le régime républicain. Lors de la crise du 16 mai 1877, il regroupe les forces de gauche. A l’adresse de Mac-Mahon, il lance ces mots célèbres: «Il faudra se soumettre ou se démettre.» Mais, en dépit de la victoire républicaine, suivie de la démission de Mac-Mahon (1879), sa cote est en baisse dans la classe politique que sa popularité inquiète. Il lui faut renoncer à poser sa candidature à la présidence de la République et se contenter de celle de la Chambre (1879-1881). Le cabinet qu’il forme en 1881 est éphémère. A fin 1882, il se blesse avec un revolver et meurt peu après d’une infection. On lui fait des funérailles grandioses.
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La première erreur de Louis XVI
La grande réforme judiciaire du chancelier Maupeou le 23 février 1771 a supprimé la vénalité des charges parlementaires et le droit de faire des remontrances avant l’enregistrement des édits royaux. Les parlements, à Paris et dans les provinces, ont été remplacés par des conseils supérieurs dont les membres sont nommés et payés par l’Etat. Les anciens magistrats récalcitrants ont été éloignés par lettres de cachet. A son avènement, le 11 mai 1774, Louis XVI trouve donc réglée la mauvaise affaire de l’opposition parlementaire qui, à partir de 1750, a empoisonné le règne de son grand-père. Mais, aux côtés du jeune souverain, lui soufflant sa conduite, se trouve le mentor qu’il s’est lui- même choisi, le, vieux comte de Maure- pas. Par ses origines et ses amitiés, Maurepas tient à la caste parlementaire, entêtée dans ses privilèges. Avec lui, les princes et toute la cour souhaitent le retour des anciens parlements; le peuple également, car les parlementaires qui ont eu l’audace de tenir tête au roi représentent, à ses yeux, le seul corps de l’Etat capable de contrebalancer le pouvoir absolu.
Le lent travail de sape de Maurepas consiste d’abord à se débarrasser du chancelier Maupeou encore en place. C’est chose faite dès le 24 août et l’on peut supposer que la réforme du ministre tombera avec son auteur. Mais Louis XVI hésite: s’il a détesté Maupeou, il apprécie la souplesse des conseillers installés par l’ex-chancelier; dévot. il en veut aux parlements ennemis des jésuites. Mais il est soumis à l’influence des princes, au poids de l’opinion publique, au harcèlement des ministres qui le chambrent en comités secrets. Maurepas est soutenu par Miro- mesnil et par Sartine. Turgot, tout occupé par sa réforme sur la circulation des grains, laisse faire. Vers la mi-octobre, les fortes têtes parlementaires qui ont senti le vent tourner reviennent à Paris. Le 9 novembre, Louis XVI, pour répondre, pense-t-il, au vœu général et parce qu'il «veut être aimé», accepte le rappel des parlements. Une ordonnance, mise au point par Malesherbes, les rétablit, tout en gardant en réserve le Grand Conseil qui pourrait s’y substituer en cas de nouvelle crise.
Le 12 novembre, le roi, entouré de ses frères et des princes, Orléans, Conti, Condé, tient un lit de justice en la Grand-Chambre du Palais de Justice; il rend les anciens parlementaires «à des fonctions qu’ils n’auraient jamais dû quitter». Le même jour, la Cour des aides est réinstallée. La capitale est en liesse. Dès le mois de décembre, le parlement a retrouvé son meneur, le prince de Conti; dès janvier, il adresse au roi des revendications qu’il appelle des «représentations». «Le parlement, écrit un contemporain, veut être le roi vis-à-vis de la nation, et la nation vis-à-vis du roi.» Louis XVI s’est laissé prendre au piège.
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En 1784, le joaillier Bœhmer propose à Marie-Antoinette d’acquérir un collier de diamants qu’il a monté à son intention et qui vaut 1600 000 livres. La reine refuse, vu le mauvais état des finances royales.
Ayant gagné la confiance du cardinal- évêque de Strasbourg, le prince Louis de Rohan-Guémenée, une aventurière, la «comtesse» Jeanne de La Motte-Valois, transmet au prélat, comme venant de la reine, la mission de négocier secrètement l'achat du collier, payable en deux ans.
La reine a jusqu’ici traité Rohan avec froideur; celui-là, désireux de rentrer en grâce, négocie avec Bœhmer. Le 24 janvier 1785, un accord est signé, et, le 1er février, le cardinal remet le collier à Jeanne de La Motte qu’il croit son intermédiaire auprès de Marie-Antoinette. Mais la reine ne porte pas le joyau, n’honore pas sa signature; en effet, celle-ci est fausse: l’écriture de la reine a été imitée par le gazetier Rétaux de la Villette, amant de Jeanne. Quant au collier, il a été emporté, dépecé et vendu à Londres par le mari de celle-ci, Nicolas de La Motte, ex-gendarme. Cette énorme escroquerie n’est découverte que six mois plus tard. Un procès s’ouvre devant le parlement de Paris, le 30 mai 1786; il a un retentissement considérable en France et en Europe; Rétaux de la Villette est banni, La Motte est condamné aux galères par contumace; quant à Jeanne de La Motte qui se prétend, puisqu’elle descend d’un bâtard d’Henri II, «la dernière des Valois», elle est fouettée en place publique, marquée au fer rouge et emprisonnée à la Salpê- trière; elle s’en évadera d’ailleurs en 1787 et rejoindra son époux à Londres. On reconnaît la bonne foi des victimes, Rohan et Marie-Antoinette; mais un malaise demeure: l’affaire est scandaleuse; on émet des doutes; on parle d’énigme. L’opinion est profondément troublée. A la lumière crue de cette escroquerie méprisable, les plus hauts personnages du royaume apparaissent tels que les chansonnent les plus audacieux pamphlétaires: Rohan, grand dignitaire de l’Eglise, est-il donc un vulgaire intrigant? La reine, malgré ses furieuses dénégations, est-elle vraiment hors de cause? En vérité, elle a honoré de sa confiance la pseudo-comtesse de La Motte sans en deviner la mentalité suspecte. Victime de sa légèreté, elle paie une inconséquence qui atteint la dignité du trône.
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Au soir du 31 juillet 1914, une rumeur court dans Paris: «Ils ont tué Jaurès!» Et la plupart ajoutent d’un ton grave: «C’est la guerre!» Celle-ci va éclater, en effet, trois jours plus tard.
Né en 1859, Jean Jaurès, en 1914, est considéré comme l’un des principaux tribuns de la IIIe République et il a, bien entendu, de nombreux ennemis: ses positions dreyfusardes lui ont attiré la haine des antisémites; son soutien aux grévistes a rassemblé contre lui patrons et grands commis de l’Etat; il n’ignore pas que sa vie même est menacée: «Un jour viendra peut-être où nous serons abattu précisément par un de ceux que nous voulons affranchir.»
Le prestige acquis par Jaurès dans les milieux socialistes inquiète les classes privilégiées: pour les capitalistes et une partie des petits bourgeois, le tribun est un ennemi de la propriété; aux yeux des catholiques conservateurs, c’est un responsable de la séparation de l’Eglise et de l’Etat; pour les agioteurs, c’est le saboteur du colonialisme. Mais c’est surtout ses positions face à la question de la guerre qui déchaîne les passions. En 1911, dans L’Armée nouvelle, il a préconisé une armée de milice, tout en demandant la constitution de fortes réserves; dans cet esprit, il s’est opposé à la loi des trois ans, écrivant: «Toute guerre est criminelle si elle n’est pas manifestement défensive.»
Militaires, nationalistes, revanchards lui vouent donc une hostilité implacable. Jaurès «a quitté à demi la France... sa pensée est allemande plutôt que française» (Barrés). «Dès la déclaration de guerre, la première chose que nous ferons sera de fusiller Jaurès» (Péguy). Les actes de Jaurès «méritent les notations d’infamie» (Maurras). Ces sentiments s’exacerbent à l’occasion du congrès socialiste de Bruxelles, le 28 juillet, quand Jaurès tente en vain de convaincre ses camarades allemands de refuser la mobilisation.
Sous la plume de Léon Daudet, l' Action française du 23 juillet écrit alors: «Nous ne voudrions déterminer personne à l’assassinat politique, mais que M. Jaurès soit pris de tremblement.» Ces lignes tombent sous les yeux d’un paranoïaque ultra-nationaliste, Raoul Villain; celui- ci, d’un coup de revolver en pleine tête, abat le tribun au milieu de son repas.
Qui est au juste cet assassin? A-t-il été manipulé, et par qui? L’extrême droite? L’Allemagne? Pourquoi n’a-t-il été jugé que deux ans et demi après son acte et, surtout, pourquoi a-t-il été acquitté? Sa mort violente en 1937, en pleine guerre civile espagnole, éclaire peut-être l’obscurité de ces questions: il existe en effet une Internationale socialiste qui a pu vouloir se manifester en une heure de grands règlements de comptes. Toujours est-il que le crime de Villain a été tragiquement inutile car, devant une guerre inévitable, Jaurès venait de se convertir à la résistance à outrance.
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